Société Psychanalytique de Paris

Libre réflexion sur l’homoparentalité

François Richard

Je proposerai ici quelques réflexions sur l’homoparentalité, d’abord en discutant la conférence de Sylvie Faure-Pragier, puis en prolongeant mon intervention lors du vote de la loi du « mariage pour tous »[1], enfin en revenant au texte de Sylvie Faure-Pragier.

Discussion avec Sylvie Faure-Pragier

Chère Sylvie, je suis heureux de poursuivre le débat passionné qui avait suivi ta conférence. Personne n’était d’accord mais chacun cherchait à échanger avec les autres pour faire émerger une pensée psychanalytique sur une question qui génère le plus souvent des réactions idéologiques, la preuve la plus flagrante en étant la dramatisation de l’opposition entre pro et anti. L’honnêteté et la précision de ton exposé ont permis un début de dépassement des polémiques surjouées. La situations actuelles, dis tu, doit être resituée dans une évolution historique déjà ancienne où changements dans le socius et progrès techniques s’interpénètrent : possibilité de divorcer, et apparition de familles monoparentales ou recomposées, contraception qui disjoint plus encore sexualité et conception, pouvoir donné aux femmes de décider de l’enfantement et de techniquement se passer de père en utilisant une paillette de sperme, engendrement possible dans un tube à essai (in vitro) – « scène primitive médicalement assistée ».Ton expérience auprès de patientes atteintes de stérilité te prémunit contre les prédictions catastrophiques selon lesquelles les enfants nés dans ces conditions seraient menacés de devenir psychotiques, la différence des sexes et l’origine sexuée étant relativisées voire évacuées. S’agit-il seulement d’un effet de la technique ou d’une crise profonde de la famille traditionnelle ?

La substitution d’une bonne parentalité éducationnelle à l’ancien ordre d’une parenté fondée sur une filiation tant symbolique que « biologique » (en fait génétique et charnelle : rencontre de génomes dans le rapport sexuel) est en cours depuis déjà un certain temps[2]. La question de l’homoparentalité la pousse jusqu’à ses conséquences ultimes. L’engendrement charnel d’un enfant par la rencontre amoureuse d’une femme et d’un homme ne disparaît pas, mais est désormais soumis à une vue globale concernant le bon partenaire, le bon moment, puis la bonne éducation de l’enfant, sa bonne – et plus rapide possible – ouverture au monde, aux savoir-faire, etc. Cette évolution, renforcée par l’impact des séparations de couples et des recompositions néo-parentales, a été préparée par un contrôle croissant de la vie privée et familiale par une juridicisation – qui suit sa logique propre – et l’intervention de l’État (éducation nationale, services sociaux et de santé, etc.)

Les psychanalystes y perdent leur latin et s’invectivent, non seulement entre tenants de courants distincts, mais aussi au nom d’un même concept – le réel au sens lacanien peut par exemple légitimer une argumentation opposée à l’homoparentalité parce qu’il suppose une contrepartie symbolique (J.-P. Winter), mais tout aussi bien être invoqué comme ce qui, résistant à toute mise en ordre, mène à une liberté anarchiste (J.-A. Miller). Du côté freudien, la référence à une organisation « tiercéisante » nourrit la crainte que joue moins l’interdiction de l’inceste par le père réel qui possède la mère (C. Flavigny, P. Levy-Soussan). Mais on voit émerger parallèlement l’hypothèse alternative qu’un très fort désir d’avoir un enfant, chez un couple homosexuel, puisse donne le jour à une forme nouvelle de scène primitive et de triangulation (S. Faure-Pragier).

La découverte freudienne de la plasticité infinie du sexuel infantile susceptible de générer des formes très diverses, et corollairement, d’une conflictualité structurelle de la vie psychique, n’a toujours pas été entendue par le travail de la culture – qui contre-investit aujourd’hui cette découverte en prétendant l’inclure dans un savoir sur les bons et les mauvais usages du sexuel, c’est-à-dire un savoir sur la famille. Tenir compte de cette découverte ? Ce serait, avec modestie, reconnaître que parfois on ne sait pas, en se démarquant bien sûr des manifestants anti ou pro, mais aussi des psychanalystes et des intellectuels qui argumentent et concluent trop vite dans un sens ou dans un autre. Ils dogmatisent le sexuel pour le soumettre, avec grand esprit de sérieux, à du religieux laïcisé.

Les opposants à la nouvelle loi défendent leur économie libidinale qu’ils ressentent comme menacée, mais il faut aussi interroger l’intolérance du discours qui fait apologie de la diversité et qui prétend que l’on peut traiter en toute transparence de questions extraordinairement difficiles – forcément, ça ne marche pas, les petites différences que l’on avait négligées font retour. Ainsi la polémique entre féministes hostiles à la gpa accusée d’être un instrument d’exploitation du ventre des femmes par les hommes (en l’occurrence homosexuels) et féministes considérants que la gpa libère les femmes parce qu’elle distingue clairement la mère de la femme, témoigne de nuances au sein d’un même ensemble idéologique, qui, pour les personnes réelles, constituent des antinomies insurmontables. C’est la vivacité – et c’est un euphémisme – de l’opposition qui donne ici à penser. Une rage s’y exprime, contre qui ne désire pas tout à fait de même, n’a pas exactement la même image inconsciente de son corps.

Que faire dans une telle situation ? Les psychanalystes peuvent envisager comme des formations symptomatiques la prévalence imposée de certains mots, le clivage entre « camps », et s’intéresser à la complexité des situations humaines effectives comme le fait Sylvie Faure Pragier, sans préconceptions, sans suréagir, en prenant le temps d’accompagner leurs patients, le temps d’une pensée sans certitudes.

Homoparentalité et complexe d’Œdipe

Les enfants issus des parentalités/parentés homosexuelles seront sans doutes différents. On peut conjecturer leur insertion dans l’ordre culturel collectif ordonné par une différence des sexes reproblématisée. Mais que dire de leur accès à la triangulation œdipienne ? On peut lire ici et là des arguments sur le fait que dans un couple gay ou lesbien l’un(e) ou l’autre tiendra plus que l’autre un rôle masculin/paternel – l’un descendra la poubelle et l’autre fera la cuisine, l’un grondera et l’autre consolera. Ils me semblent auto-réfutationnels : si la différence tient à si peu, on doit pouvoir s’en passer. Il est plus intéressant de repérer en quoi les processus psychiques – qui concernent l’Œdipe, même s’il est atypique – des parents homosexuels déterminent une transmission de la problématique œdipienne à leurs enfants.

Lors d’une discussion avec Maurice Godelier, à propos des Na, une société thibeto-birmane de Chine où frères et sœurs élèvent ensemble les enfants, alors que les pères sont inconnus dans la parenté et dans la parentalité, j’en suis venu à lui opposer que, si le complexe d’Œdipe n’y était certes pas nucléaire, l’on devait cependant supposer que chacun y « savait » qu’un enfant était issu d’une scène sexuelle élémentaire entre une femme et un homme, que tel enfant était issu de la rencontre de cette mère-ci avec cet homme-là, même si les concepts de père et de géniteur n’existaient pas.

Notre modernité, dans son débat actuel sur les formes nouvelles de « parentalité » retrouve, sans trop savoir quoi en faire, l’ancienne question sans réponse de l’écart entre le corps et l’esprit : parentalité d’un couple ayant adopté un enfant ; quête de leurs géniteurs par les enfants dont la mère a accouché sous x ; multiples situations complexes des grossesses médicalement assistées ; « mères porteuses » ; vérification des pères au moyen de l’adn pour savoir s’ils sont bien les géniteurs de leurs enfants ; parentalité homosexuelle où l’un des deux peut être, ou pas, le géniteur ou la génitrice.

Le succès de la notion de parentalité relève, je crois, d’une idéalisation du lien social, supposé capable de se gérer et de se réformer lui-même. La notion de parentalité en vient à recouvrir celle de parenté, laquelle participe d’un champ théorique différent. La parentalité désigne l’exercice de la fonction – protectrice, éducationnelle et aimante – des parents, tandis que la parenté concerne le système, hypercomplexe et structuré, des règles organisant la filiation entre générations et les alliances entre lignages – règles définies juridiquement et biologiquement, mais surtout imaginairement et symboliquement, qu’il s’agisse des règles de l’alliance instituées par le social, des théories sexuelles individuelles et collectives, des mythes, des religions ou du droit. Penser qu’une parentalité fortement désirée pourrait fonder une filiation interroge la différence entre parentalité et parenté, qui allait de soi il y a encore peu de temps. Une des préoccupations souvent mise en avant concerne un éventuel risque de délire : les enfants d’un couple homoparental pourraient en venir à croire être issus biologiquement de la rencontre sexuelle de leurs parents de même sexe – cette croyance délirante s’exprimant éventuellement à la génération suivante, voire ultérieurement encore. Ce n’est pas impossible. Rien dans l’état actuel des connaissances ne donne à observer une prévalence de psychoses dans la population concernée, même si les études existantes sont insuffisantes. Et il n’y a pas, par définition, d’études sur les générations futures. On peut raisonnablement penser que l’enfant d’un couple homoparental sait qu’il est issu physiquement et génétiquement (c’est peut-être mieux, dit ainsi, que « biologiquement ») d’un homme et d’une femme, tout en reconnaissant le couple homoparental comme celui de « ses » parents. Il les adopte, en quelque sorte. La filiation relève-t-elle des règles de la parenté ou d’un choix subjectif ? La situation actuelle mène à répondre : des deux. En ajoutant : n’oublions pas la richesse imaginaire des systèmes de parenté et de la généalogie, ne réduisons pas l’humain à une réalité sociale s’autogérant, se reproduisant, pour le bien de tous, fraternelle-parentale.

La théorie du complexe d’Œdipe introduit à une exigence éthique de parentalité bien assumée mais n’exclut pas la parenté. Avec Winnicott, et d’autres, l’accent se porte davantage du côté de la parentalité, alors que, avec Lacan, la parenté se noue à la parentalité dans la notion de fonction (symbolique). Dans les deux cas la violence du conflit psychique œdipien telle que Freud la considérait dans l’angoisse, et même la folie, propres aux névroses, se voient sous-estimées. L’actuel débat néglige d’envisager les formes névrotiques de conflit psychique corollaires de l’homoparentalité. On s’inquiète de ce que ces enfants puisse devenir psychotiques ; ou bien on prétend que le complexe d’Œdipe n’existe plus, ou qu’il n’a jamais existé. Comme on peut voir, les termes du débat sont mal posés. Ne faudrait-il pas plutôt se préoccuper de troubles en phase avec les formes aujourd’hui prévalentes de la conflictualité œdipienne chez nos patients : un « Œdipe » déformé mélangé à des fonctionnements limites ?

Le sujet humain ne peut-il émerger que dans la situation œdipienne ou, plus largement, que dans le lien généalogique de filiation ? On ne saurait ici se satisfaire d’opinions, de souhaits, ou d’idées reçues, dans un sens comme dans un autre. La réflexion reste insuffisante sur la relation, souhaitée, à un enfant et le fait que cet enfant devienne son enfant, ce qui est le propre de la filiation. Ce désir là suppose une implication où l’on se donne totalement, mais, du même coup, où l’on reconnaît en soi l’incomplétude, ce qui, pour certains (Sylviane Agacinski, Christian Flavigny, Pierre Levy-Soussan, Jean-Pierre Winter), ne peut être garanti que par la différence des sexes au sein des couple des parents – alors que selon d’autres (Geneviève Delaisi de Parseval, Sylvie Faure-Pragier, Serge Hefez, Susann Heenen-Wolff, Élisabeth Roudinesco, Irène Théry, Caroline Thompson, Michel Tort) cela pourrait s’accomplir selon des modalités diverses.

Godelier parle d’un « pur imaginaire[3] » exigeant des « pratiques symboliques » organisatrices fortes – mythes, rites, constructions politiques. Que devient dans le monde actuel ce « niveau de totalisation de l’imaginaire dans le sacré, irréductible à ses constituants » ?

L’économie libidinale patriarcale menacée par la progression contemporaine de façons différentes de désirer, attaque cette altérité supposée l’empêcher de continuer à jouir dans son système bien établi, obsessionnellement démarqué. Il ne s’agit pas à l’inverse de créer des catégorisations qui enferment à nouveau la pensée dans des espaces clivés. Il n’y a pas « l’hétérosexualité » versus « l’homosexualité », un homme homosexuel a peu de choses en commun avec une femme homosexuelle : c’est un homme qui aime les hommes. Et une femme qui aime les femmes « est » certes lesbienne, mais avant tout elle est une femme. Sans compter la variété des types de désir chez les gays et les lesbiennes, pareillement au sein du champ hétérosexuel, traversé par la bisexualité psychique et le sexuel infantile, lesquels entament aussi les ensembles gays et lesbiens. La différence binaire des sexes nourrit une variabilité infinie des positions psychiques de genre – laquelle n’existe qu’à partir de cette différence, grâce à cette différence.

Qu’est ce qu’un père ? Cette question ancestrale ressurgit, mais semble n’en rester qu’un transfert : on le cherche « juste à côté » – donneur, mais aussi nouveau compagnon de la mère, rôle supposé plus paternel de l’un des deux partenaires d’un couple homoparental – jusqu’à l’élection, dans une préférence intersubjective, de tel homme particulier comme interlocuteur privilégié, comme « modèle » comme il est souvent dit naïvement. Le recours croissant à la jurisprudence pour mettre en ordre une socialité de groupes de plus en plus extensifs, tente de réinstituer de la parenté dans une parentalité de plus en plus identique au lien social en permanence « recomposé » – peut être le « fait social total » dont parlait Marcel Mauss. Dans les familles recomposées, nous gagnons des alliés plus nombreux : quasi-enfants, ceux d’une nouvelle belle-famille, elle-même déjà en réseau de recomposition ici et là, tout en conservant tout ou partie du système de liens antérieur rompu[4]. Certains députés s’insurgeaient contre la perspective, selon eux prévisible, d’un mariage à plusieurs. Mais ne voit-on pas que l’alliance exogame a déjà pris usuellement la forme d’une générativité du lien ?

Dans ses derniers séminaires, Lacan écrit les Noms-du-père au pluriel, il les dissémine dans un Réel oùn et 4 Février 2013, Cf. alytieses sexes ? la différence pourrait émerger entre de multiples objets cause du désir. Le Nom-du-Père se réduit alors à un articulateur de la différence, à la structure de la différenciation signifiante. Pourquoi donc continuer à référer cette fonction au mot « père » ? On pourrait facilement montrer qu’il y a dans l’œuvre de Lacan cent occurrences de l’ordre symbolique référé au père idéalisé garant de la Loi, pour une occurrence de sa reproblématisation – quasi deleuzienne – en termes de différenciation générative infinie du réel. Winter s’en tient au Lacan d’avant les derniers séminaires et réaffirme des vues bien connues sur la transmission qui va des ascendants aux descendants[5]. Le danger de l’homoparentalité, à cet égard, serait de creuser une faille dans la transmission, parce que les parents de même sexe peuvent négliger le désir du donneur (pma) ou de la porteuse (gpa) de sorte que la place du tiers hétérosexué qui a présidé à la conception de l’enfant sera non pas forclose, mais minorée, et déniée. Selon Winter, l’amour et l’éducation ne suffisent pas, la chaîne de la transmission des générations et de l’héritage historique, mise à la porte, fera retour par la fenêtre grande ouverte de nouvelles souffrances psychiques. Il n’est pas question ici de mensonges des homoparents, mais de structure logique inhérente à la situation. Voilà, au moins, un argument carré.

« La dictature du plus-de-jouir dévaste la nature, elle fait éclater le mariage, elle disperse la famille, et elle remanie les corps », écrivait J.-A. Miller en 2004[6]. Cette dénonciation dramatisée d’une modernité déshumaine mène étrangement à son apologie neuf ans plus tard : « dans une affaire comme celle du mariage gay, le peuple français représenté par le Parlement, c’est effectivement Dieu le Père »[7], tandis qu’on s’en prend au pape et au grand rabbin de France, « une animosité perce, véhémente chez le juif, distanciée chez l’autre. On comprend à les lire que le projet de loi socialiste dérange le plan divin, et qu’il est tout à fait blasphématoire, contre-nature et antisocial. Gilles Bernheim prête aux “militants LGTB“ le dessein de “faire exploser les fondements de la société“. Joseph Ratzinger stigmatise la prétention de l’homme à farsi da sé, à se faire par soi-même… Le mariage gay est-il contre-nature ? Voici longtemps que nous avons cessé d’être dupes de la nature. Le b.a.ba de la philosophie moderne, c’est qu’il est de la nature de l’homme de se dénaturer lui et son monde »[8]. La notion d’ordre symbolique garanti par la fonction paternelle serait de ce point de vue encore dupe de la nature, ainsi que défensive par rapport à la nouvelle vérité, hier incriminée comme déshumaine, de la jouissance sans fin des objets a. Que l’on ne nous bassine plus les oreilles avec le Père, tel est le dogme dernier cri.

Chez Freud, les choses étaient simples : dans le complexe d’Œdipe, le père réel a des relations sexuelles avec la mère, impose à l’enfant d’être assujetti au fantasme d’une scène primitive entre une femme et un homme, et lui interdit d’espérer tout commerce amoureux tant avec la mère qu’avec lui-même – ce qui introduit l’enfant, fille comme garçon, à un manque bénéfique, la castration symbolique. Il faut ajouter à cette limpide démonstration que la mère est capable, sans se référer au père de ses enfants ni à un principe paternel plus général, elle aussi, de prohiber l’inceste à l’enfant. On peut en déduire, ou pas, une opposition au mariage pour tous. Alors que la division, chez Lacan, du père entre réel, imaginaire, et symbolique, déconstruit le père œdipien freudien, dissocié entre l’homme sexuel (l’amant) et le Nom-du-Père, en échos aux distinctions sans fin à faire entre filiations (génétique d’abord, puis celle des parents qui peuvent donner leur nom à l’enfant sans pour autant le concevoir ni à la limite l’élever, et, last but not least, la filiation éducative ouverte à diverses personnes pouvant intervenir à un degrés ou à un autre : homoparents, beaux-parents, grands-parents, parrains, etc.)

Sylvie Faure-Pragier cherche à raccorder la pensée freudienne de la scène primitive et les évolutions actuelles : « Jusqu’à aujourd’hui, le coït procréateur, nommé aussi scène originaire, a été un des fantasmes organisateurs de la psyché. Cependant, n’est-il pas lui-même une représentation privilégiée d’un complexe enchevêtrement de désirs parentaux ? D’autres représentations ne pourraient-elle pas avoir la même fonction ? La symbolisation me paraît être une capacité de notre psychisme et non une conséquence de l’organisation familiale réelle. Pourquoi les efforts considérables faits par des parents pour faire naître leur enfant ne pourraient-ils pas induire un effet structurant ? Ce serait l’ébauche d’un nouveau fantasme originaire qu’être ainsi un « enfant du désir d’enfant », adopté ou procréé médicalement. L’identité se réfère aux désirs parentaux et non à l’usage qui est fait des cellules germinales »[9].

Retour à la discussion avec Sylvie Faure-Pragier

La scène primitive relève-t-elle d’un schème génétique – rencontre d’une femelle et d’un mâle – ou d’une construction culturelle des désirs parentaux ? La théorie freudienne des pulsions réuni ces deux points de vue dans l’écart somato-psychique. Sylvie Faure-Pragier, avec sa patiente Chantale, déplace l’intérêt du côté de l’auto-organisation de l’identité dans l’homosexualité primaire, condition narcissique de base de l’identification primaire, dans le bel échange suivant :

« Ou alors, il faudrait que vous soyiez mon enfant, pas moi la vôtre, me dit-elle.

– Si j’étais votre enfant, je serai votre mère aimante pour toujours,

lui répondis-je.

– C’est normal d’avoir un enfant. »

Belle condensation du transfert originaire sur une mère aimante, de la réponse de celle-ci, et de l’ambivalence de l’analyste qui pense « je ne veux pas être le père de son enfant », tout en trouvant « regrettable » que la compagne de Chantale n’aie pas pu adopter sa fille Angela, conçue par insémination avec donneur. L’analyste trouve un positionnement juste à la limite de l’impossible dans une situation hypercomplexe


[1] Cf. F. Richard, « Entre malaise et confusion », in Penser/Rêver, n° 24, 2013.

[2] Cf. F. Richard, « La “parentalité”: remède ou nouveau refoulement ? », L’Actuel malaise dans la culture, Éditions de L’Olivier, 2011, p. 82-97.

[3] M. Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard, 2004, p. 253.

[4] Ce qui comporte, à proportion égale, l’occurrence inverse de la déliaison – enfants qui s’éloignent, amis perdus, mais aussi repli sur le couple sans tentative de recomposition d’une néo belle-famille.

[5] J.-P. Winter, Transmettre (ou pas), Albin Michel, 2012.

[6] Du mariage et des psychanalystes, Institut Lacan, Navarin, 2013, « Préface » de B.-H. Lévy et J.-A. Miller, p. 42, cité par S. Marret-Maleval.

[7] Ibid., « Préface ».

[8] J.-A. Miller, « L’Église, la nature et Freud », ibid., p. 26 et 28.

[9] .         S. Faure-Pragier, Le Monde du 26 Décembre 2012. Ce point de vue est plus amplement développé dans S. Faure-Pragier, Comment penser aujourd’hui la valence différentielle des sexes ?, Adolescence 2014/1

Publié le 10.06.2015