Société Psychanalytique de Paris

L’éclatement de la SFP et la naissance de l’APF

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À la fin de l’année 1963 certains n’imaginent pas cet avenir et croient pouvoir encore sauver la moribonde SFP C’est le cas de Juliette Favez-Boutonier qui, après la démission du Bureau désavoué de Leclaire, accepte d’en reprendre la présidence, avec Berge et Lagache comme vice-présidents, Granoff comme secrétaire général, Lang comme secrétaire scientifique et Didier Anzieu comme trésorier. Elle aime cette Société dont elle a peut-être été la plus ardente fondatrice en quittant une SPP dont elle supportait mal le fonctionnement, la composition et les prises de position. Elle espère arranger les choses. Certes, Leclaire et Perrier ont annulé les réunions dont ils avaient la charge, son ancienne amie Françoise Dolto a demandé à ne plus figurer sur le programme de l’enseignement et Maud Mannoni a décommandé sa conférence du 3 décembre, mais la partie ne lui paraît pas encore perdue.

Après tout, Lacan n’est pas exclu, son Séminaire n’est pas en cause et il n’a pas démissionné. S’il pouvait, comme l’escomptait Leclaire, accepter de renoncer aux didactiques pour se consacrer au seul enseignement magistral, le temps que tout se tasse… Une ultime tentative de négociation secrète est alors confiée à Daniel Widlöcher qui affronte son ancien analyste, tout sourire au début, puis attristé : “Me faire ça au [p.100] moment même où je vais rendre publique la théorie de mes attitudes techniques…”, cassant et menaçant enfin, assuré qu’il se sent d’un succès dont il perçoit la rumeur grandissante.

D’autres parlent ou écrivent à sa place. Un nouveau pion s’avance sur l’échiquier, poussé par Jean Clavreul. Il a nom Groupe d’étude de la Psychanalyse (G.E.P.) et pour but de regrouper dès le mois de décembre 1963 ceux qui sont désireux de poursuivre “un travail strictement psychanalytique”. Il faut entendre : les lacaniens.

Sa création tient lieu de déclaration de guerre au Bureau de la SFP qui réagit en dénonçant “l’embryon de Société” et “la concurrence” qui est ainsi organisée sous son sigle et en son sein. Autre riposte : le rejet, le 14 février 1964, de la candidature de Jean Clavreul au titulariat “en raison de [ses] activités au G.E.P. que le Bureau estime contraires aux statuts de la Société”. Contre-attaque, enfin : ce même mois de février, le Bureau “élargi” fait un voyage à Londres pour y discuter auprès des responsables de l’I.P.A. des conditions nouvelles qui règnent dans la Société et des moyens d’y parer.

Une solution s’élabore, que Maxwell Gitelson, président de l’I.P.A., télégraphiera le 11 mai à Wladimir Granoff : l’Association internationale retire son label de Groupe d’étude à la SFP, ce qui peut se faire par simple décision du Central exécutif et ne nécessite pas une “séance pleinière administrative”, et l’accorde à un nouveau “French Study Group” directement placé sous son contrôle. Daniel Lagache et Pierre Turquet auront copie de la lettre de confirmation que reçoit Granoff le lendemain. Se trouvent reconnus désormais Anzieu, Berge, Georges et Juliette Favez, Granoff, Lagache, Lang, Laurin, Mauco et Pujol. Parmi les seize membres associés reconnus, Jacques Caïn, Marianne Lagache, Jean Laplanche, Jean-Claude Lavie, Jean-Ber- [p.101] trand Lefèvre-Pontalis, Michel et Jacqueline Schweich, Victor Smirnoff et Daniel Widlöcher.

La nouvelle ne sera officiellement divulguée que le 9 juin à l’assemblée générale d’une SFP qui n’a plus aucune raison d’être. Lagache démissionne de ses fonctions de vice-président pour présider dorénavant le nouveau groupe, tandis que Widlöcher lance un appel à qui souhaiterait rejoindre ceux qui ont été déjà acceptés par l’I. P. A. François Perrier se révolte en constatant que “la seule preuve de liquidation de transfert se résume à la capacité d’un ex-élève de prendre une part active à la condamnation de son maître”, mettant ainsi en lumière ce qui rend cette scission plus pathétique et presque moins “politique” que la précédente : un certain nombre des membres investis du label international sont d’anciens analysés de Lacan, et c’est pour une pratique d’analyste à laquelle ils doivent en partie ce qu’ils sont qu’ils condamnent leur propre didacticien. Celui-ci aura beau jeu de leur lancer : vous estimez-vous mal analysés ?

Piera Aulagnier s’indigne de ce qu’on ait pu lui proposer de se soumettre “à l’approbation de Chicago”, et va s’empresser de participer aux groupes de travail qui s’organisent autour du G.E.P., rue d’Ulm, où Lacan fait son Séminaire, à l’hôpital Trousseau ou à Sainte- Anne. Jean Clavreul proclame :”Qu’est-ce donc qui fait notre originalité ? Il n’y a aucun doute à ce sujet, c’est que nous sommes lacaniens. N’ayons aucune fausse honte à le dire, on peut bien être lacanien, comme d’autres sont kleiniens.”

Mais, tandis que l’on discute “sociétés”, Jacques Lacan prépare le nouveau coup de théâtre qui va éclater le 2l juin 1964, jour de l’été, avec l’annonce devenue célèbre :”Je fonde – aussi seul que je l’ai toujours été dans ma relation à la cause psychanalytique – l’Ecole Française de Psychanalyse, dont j’assurerai, pour les quatre ans à venir dont rien dans le présent ne m’inter- [p.102] dit de répondre, personnellement la direction.” Il faut se rappeler ces termes, car ils contiennent en germe l’avenir de cette fondation, bientôt rebaptisée Ecole freudienne de Paris, et cela jusqu’à sa dissolution, décidée en janvier 1980 par un Lacan “aussi seul”, malgré son appel “aux mille”, qu’il le sera toujours resté dans sa relation intime avec la psychanalyse. Qui ne comprend pas cette solitude fondamentale, et ce qu’elle recèle, risque en effet de se méprendre sur la constitution “autocratique” de l’E.F.P., sur l’entêtement de Lacan à maintenir une pratique analytique qu’il ne conseille en réalité à aucun autre que lui d’adopter, sur l’étrange mélange d’opportunisme et de rigorisme entêté dont il peut faire montre et sur les relations de cajoleries et de mépris qu’il entretient avec les vagues successives de ses élèves, n’admettant guère comme ses fidèles, au fil du temps, que Gloria, sa gouvernante, Judith, sa fille, et Jacques-Alain Miller, son gendre.

Atomisée en petits groupes dénommés “cartels”, pour faire échec à toute ambition de “chefferie”, l’organisation de l’E.F.P. prévoit trois sections. La première, dite “de psychanalyse pure, soit praxis et doctrine de la psychanalyse proprement dite, laquelle est et n’est rien d’autre – ce qui sera établi en son lieu – que la psychanalyse didactique”, témoigne d’une discrimination qui, quatre ans plus tard, poussera Piera Aulagnier. François Perrier et Jean-Paul Valabrega à quitter Lacan pour fonder le Quatrième Groupe. Deux autres sections sont décrites, celle de “psychanalyse appliquée, ce qui veut dire de thérapeutique et de clinique médicale” et celle de “recensement du champ freudien”, comprenant l’articulation de la psychanalyse “aux sciences affines” et son “éthique, qui est la praxis de sa théorie”.

Vouée à la transmission de l’interprétation que Lacan fait de Freud, l’E.F.P. va s’ouvrir aux analystes comme aux non-analystes, philosophes, écrivains, lin- [p.103] guistes, historiens, etc., un principe original et souvent abusivement compris, en raison de son ambiguïté, y réglant au départ les problèmes d’habilitation : “Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même.” Un “Annuaire”, qui prétend ne pas répondre de la qualification analytique de ceux qui demandent à y figurer, sera régulièrement publié, gonflé au fil des années, et jusqu’aux mille de la dissolution, du nom de tous les adeptes de celui que l’on commence alors à nommer “le Freud français”.

Peu après l’annonce de cette création, en juillet 1964, on apprend celle de l’Association psychanalytique de France (A.P.F.), nouvelle dénomination adoptée par les membres du “French Study Group”. Son programme met en vedette, à l’inverse, le principe “de maintenir certaines normes dans le domaine de la formation” tout en conservant une grande souplesse dans l’enseignement dispensé par un institut de formation qui, contrairement à celui de la SPP, reste une simple dépendance de l’Association. Celle-ci, espèrent ses fondateurs, devrait être prochainement reconnue par l’I.P.A.

Ce sera, en effet, chose bientôt faite, mais il faut auparavant liquider le passé et la communauté de ce deuxième “divorce”, ce qui s’effectuera avec assez de dignité de part et d’autre, malgré les réactions violentes de certains. Le 6 octobre 1964, Wladimir Granoff et Serge Leclaire adressent chacun à la présidente Juliette Favez-Boutonier une lettre demandant la dissolution de la SFP Le 19 janvier 1965, une assemblée générale la prononce, avec partage des biens entre l’E.F.P. et l’A.P.F. Cette dernière se verra reconnue comme société composante le 28 juillet, lors du XXIVe Congrès international d’Amsterdam, et se choisira comme premier président Daniel Lagache. Trois mois plus tard, fin octobre 1965, Rudolf Loe- [p.104] wenstein, venu des Etats-Unis pour participer au XXVIe Congrès des Psychanalystes de Langues romanes qui se déroule à Paris, y retrouvera enfin réunis, après douze ans de luttes, les membres de la SPP et ceux de l’A.F.P. en la personne de ses deux anciens analysés, Sacha Nacht et Daniel Lagache. Quant au troisième, Jacques Lacan, il est dit qu’il ne paraîtra pas à la soirée du souvenir organisée pour “Loew” en compagnie de Pierre Mâle…

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