Société Psychanalytique de Paris

Un regard historique sur les rapports entre psychanalyse et psychothérapie en France

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Alain de Mijolla

Conférence à la Société Psychanalytique de Paris, 15 mai 2001.

C’est en vue d’une séance scientifique de notre Société consacrée à l’abord sur un plan théorique des rapports entre « psychanalyse » et « psychothérapie » que j’ai proposé l’organisation préalable d’un bref rappel de l’histoire de leur commensalisme depuis les premiers temps de l’implantation en France des théories freudiennes.

Le problème des points communs ou des différences entre psychanalyse et psychothérapie n’est pas réservé à notre seul pays. Il est né en même temps que la psychanalyse, celle-ci se trouvant encore désignée en 1904 par son auteur comme « la psychothérapie de Freud ». Avec l’affinement de la technique dont témoignent les prescriptions édictées à partir du traitement de l’Homme aux rats, le notion de « cure psychanalytique » s’est organisée et différenciée, mais la nécessité de ne pas séparer totalement les deux types de pratique a été fortement exprimée par Freud dans son adresse lors du Congrès de Budapest en 1918, « Les voies nouvelles de la psychanalyse ». On répète à loisir depuis cette époque la nécessité d’allier parfois le cuivre de la suggestion à l’or pur de la parole analytique et l’on sait comment les prescriptions freudiennes furent immédiatement suivies d’effet : création à Berlin dès 1920 d’une Policlinique pour y traiter gratuitement les malades, organisation d’un Institut de formation dont nous continuons encore aujourd’hui à suivre le modèle, recherche des moyens de simplifier et de raccourcir les cures, ce dont témoignent Sándor Ferenczi et Otto Rank à partir leur ouvrage commun, Les perspectives de la psychanalyse (1924), malgré les réserves de Freud qui verra alors s’éloigner de lui ses deux élèves préférés. Avec la guerre et l’émigration liée aux persécutions nazies, c’est en Amérique que le problème prendra toute son ampleur et je ne ferai que citer les noms de ceux qui ont le plus contribué à le propager : Felix Deutsch, Franz Alexander, ou Eduard Bibring, parmi tant d’autres.

En France, on peut distinguer deux périodes nettement séparées par la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation nazie. Dès les années vingt, les psychiatres s’emparent de certaines procédures, souvent empruntées d’ailleurs aux Études sur l’hystérie, pour parfaire les examens qu’ils font subir à leurs malades. Je rappelle les réticences du Professeur Laignel -Lavastine en 1920 « Certaines malades nous ont ainsi réclamé d’elles-mêmes l’épreuve de la psycho-analyse, contant sans aucune pudeur, des rêves érotiques où le médecin jouait une large part » [1] ” et son intervention trois ans plus tard, au Congrès de Besançon, dans laquelle il appelait à faire la différence entre « les médecins consciencieux, plus ou moins disciples de Freud” et les “sectateurs non médecins du freudisme, philosophes, littérateurs, pasteurs, instituteurs, institutrices, bas-bleus, étudiants non médecins, infirmières, masseuses, vieilles filles en quête d’occupation, etc. qui ont été attirés par le freudisme pour des motifs multiples, qui peuvent en tirer des effets heureux au point de vue littéraire, philosophique ou social, mais qui parfois aussi s’en servent comme de véhicule à des idées érotiques, y cherchent un moyen facile de succès auprès des foules, ou en profitent pour faire de l’exercice illégal de la médecine, qui peut avoir les pires conséquences pour le malade et, par ricochet, pour le bon renom de la psychanalyse et de Freud lui-même » [2] .

J’ai développé ailleurs la mainmise que comptaient faire les jeunes psychiatres sur la psychanalyse pour en développer l’application « à la française » à la pratique psychiatrique et sa traduction par la création, un an avant la Société Psychanalytique de Paris, de ce qui se structurera comme le groupe de l’Évolution psychiatrique [3] . L’exposé de Mme Claire Doz-Schiff développera clairement cet aspect, comme l’impression de miracle thérapeutique qu’a donnée pendant cette période l’application de méthodes inspirées des principes psychanalytiques. Que celles-ci se soient apparentées davantage à des psychothérapies qu’à des cures telles qu’elles commençaient à se définir à Vienne ou à Berlin, c’est évident, et l’on peut y voir une des motivations des conflits qui allaient agiter la jeune société française et la conduire dans les années trente au bord d’une scission. Outre l’opposition des professeurs de psychologie comme Georges Dumas et la condamnation du « dangereux transfert », la pratique psychanalytique s’est également vue quelque peu bousculée par les initiatives de psychanalystes comme René Laforgue. Nous l’avions déjà noté lors d’une réunion scientifique de la SPP en septembre 1994, l’influence des expériences de technique active de Sandor Ferenczi était alors très prégnante en France où l’attitude analytique silencieuse et l’abstention prescrite par Freud ne se trouvaient guère suivies.

Or ou cuivre ? La disparition en septembre 1939 de celui qui avait assumé seul le droit à en délimiter le dosage, même s’il avait paru en donner le pouvoir à l’Association Psychanalytique Internationale puis à son Comité secret, allait poser en de tout autres termes la question des rapports entre psychanalyse et psychothérapie après la Seconde Guerre mondiale.

Après la Libération, ce furent encore des psychiatres qui pensèrent trouver dans la psychanalyse une issue à un enfermement asilaire sans moyens thérapeutiques qu’ils ne supportaient plus. Mais un élément nouveau n’allait pas tarder à bouleverser le paysage psychanalytique français : la création en 1947 de la licence de psychologie par Daniel Lagache qui augmenta alors considérablement la demande d’analyses, dans un premier temps, avant de lancer sur le marché un nombre de plus en plus important de praticiens potentiels, caractérisés par le fait qu’ils allaient être des psychanalystes laïques, occuper souvent des postes institutionnels où se pratiquaient des psychothérapies et comprendre une proportion grandissante de femmes, tous ces facteurs et leurs conséquences étant développés par Roger Perron dans son exposé.

En 1955, Maurice Bouvet fit paraître dans l’Encyclopédie médico-chirurgicale un travail nommé « La cure-type » qui avait certes pour but politique de discréditer les pratiques de Jacques Lacan, mais aussi de fixer clairement – voire un peu dogmatiquement – les indications, le cadre et le déroulement idéaux d’une cure psychanalytique dirigée par les indications techniques édictées par Freud. Cette visée d’« orthodoxie » avait aussi pour mission de préciser les modalités d’exercice de la Société Psychanalytique de Paris, seule reconnue par l’API. L’accent y était d’ailleurs mis sur le rôle du Moi, alors très étudié chez les Anglo-saxons, sur la nécessité d’apprécier sa « force » ou sa « faiblesse », et sur le but de la cure qui était de le renforcer face aux pulsions et aux exigences du surmoi. Afin de mettre à son service les « énergies instinctuelles » et de contribuer à rendre conscients les processus inconscients, Maurice Bouvet désignait comme « Conditions nécessaires pour une psychanalyse efficace : 1° Placer le sujet dans des conditions opératoires constantes. 2° Favoriser le relâchement des attitudes de contrôle, dont il use communément. 3° Lui laisser en même temps ses capacités d’observation habituelles. 4° Ne pas lui permettre de trouver dans l’usage même de la cure, et sans qu’il s’en rende compte, l’aliment nécessaire a ses besoins sous leur forme actuelle. » [4]

Ce travail était dans la droite ligne des « indications et contre-indications » qu’avaient ailleurs exposés des auteurs comme Sacha Nacht et Serge Lebovici [5] , proches d’ailleurs en cela du Freud des années 1904-1906 : exclusion des structures jugées psychotiques, des patients trop âgés, des toxicomanes et des pervers.

Très rapidement, Jacques Lacan lui opposa dans cette même Encyclopédie une réplique intitulée « Variantes de la cure-type » [6] dans laquelle il s’insurgeait contre les illusions de cette idéologie du Moi et contre les préceptes d’une « identification au psychanalyste » comme critère d’une heureuse terminaison de la cure. Il s’y opposait aussi à la visée d’adaptation à la réalité extérieure préconisée par certains, et surtout à l’imposition de « standards » dont des enquêtes, comme celle d’Edward Glover en Angleterre en 1953, avaient montré qu’ils ne correspondaient à aucun consensus vrai,. On trouve dans ce texte, parmi de nombreuses réflexions sur l’exercice de la psychanalyse et la formation des psychanalystes, celle qui précisent qu’« une psychanalyse, type ou non, est la cure qu’on attend d’un psychanalyste » et la formule qui devait être si souvent reprise à cause de sa connotation anti-thérapeutique : « S’il (Freud) admet donc la guérison comme bénéfice de surcroît de la cure psychanalytique, il se garde de tout abus du désir de guérir ».

Jacques Lacan n’y exposait cependant pas ce qui faisait la singularité de sa propre pratique et devait lui valoir son exclusion définitive de l’Association Psychanalytique Internationale : l’usage de la « scansion », cet arrêt des séances décidé par le psychanalyste en s’appuyant sur les notions de « parole pleine » ou de « parole vide », qui conduisait au raccourcissement de leur durée, certaines n’excédant pas une dizaine de minutes. Le mouvement lacanien allait d’ailleurs perpétuer dans les décennies suivantes ces variantes majeures de la méthode psychanalytique, et y privilégier la prévalence quasi exclusive donnée par Lacan au langage, c’est-à-dire à la recherche de « signifiants » clés dont la présence ou l’absence étaient devenues le moteur des interprétations.

Les sociétés psychanalytiques dites « classiques », comme la Société Psychanalytique de Paris et la Société Française de Psychanalyse puis en 1964 l’Association Psychanalytique de France qui la remplaça, vécurent une évolution plus conforme aux normes internationales et aux mouvements que la psychanalyse connut de façon générale. On peut rapidement rappeler quelques-unes des modifications de la « cure-type » elle-même et les diverses adaptations qui ont été proposées de sa pratique en fonction de l’élargissement de ses applications.

La durée des séances a été raccourcie peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale à 45 minutes, essentiellement sous l’influence de Sacha Nacht qui fut sous cette forme l’analyste didacticien de plusieurs analystes français de premier plan dans les années soixante-soixante dix. Le rythme fut ramené de cinq à quatre séances par semaine jusque dans les années soixante (ma propre psychanalyse didactique a commencé ainsi en 1960), puis à trois, certes du fait de l’augmentation du nombre de ceux qui venaient demander une cure psychanalytique, mais aussi en raison des obligations de leur vie professionnelle et de ses horaires de plus en plus rigoureux, modifications socio-économiques parmi lesquelles il faut souligner la proportion grandissante de patients venant de milieux relativement modestes et de femmes occupant un emploi accaparant en plus de leurs obligations familiales, par rapport à une clientèle jadis plus oisive et financièrement aisée. Pendant plusieurs décennies, les seuls lieux de formation étant situés à Paris, où se trouvaient également installés la plupart des psychanalystes didacticiens, il fallut établir des modalités adaptées aux voyages que devaient effectuer les candidats demeurant dans d’autres régions de France, d’où la concentration de deux séances dans une première journée suivie d’une séance la journée suivante, par exemple.

La France a été longtemps réticente à la pénétration des théories et des pratiques interprétatives de Melanie Klein et de ses disciples, mais très tôt une grande importance a été accordée à la prise en considération du matériel prégénital, dans le cadre strict de l’analyse du complexe d’Œdipe cependant. Les écrits de Maurice Bouvet ont été déterminants en ce sens, tandis que Sacha Nacht, n’ayant pas oublié les orientations férencziennes de la psychanalyse française de l’entre-deux guerres, insistait sur l’attitude de « bonté » de l’analyste, sur son « tact », et se montrait préoccupé par l’allongement de la durée des cures et les moyens plus ou moins « actifs » d’y mettre un terme.

Ce sont la vogue des idées de Freud dans la société française, leur utilisation dans l’abord des malades mentaux et donc la forte augmentation des demandes de traitements qui entraînèrent les modifications et les aménagements de la cure psychanalytique les plus importants. La nécessité de prendre en charge des pathologies dites « non névrotiques » ou « border lines » conduisit à une remise en question de ses buts et des moyens de les atteindre. En 1963, René Held fit à l’occasion du XXIVème Congrès des psychanalyses de Langues romanes un rapport détaillé sur « Les psychothérapies d’inspiration psychanalytique freudienne » qui leur allait leur donner ce statut de méthode sérieuse qui leur était en général refusé dans les milieux psychanalytiques français qui craignaient leurs dérapages déviationnistes. N’avaient-elles pas pour but principal celui de « guérir » leurs patients, contrairement à ce sur quoi Lacan avait insisté ? Ne s’ouvraient-elles pas à ces contre-indications qui avaient éloigné tant de personnes en souffrance de l’aide qu’aurait pu leur apporter une écoute psychanalytique ? A l’époque, René Held insistait sur leur emploi dans les cas de « névroses légères », de certaines névroses de caractère, de patients trop âgés et de ceux qu’il fallait aider à résoudre des conflits essentiellement « actuels ». Il conseillait également de les envisager, mais avec de grandes réserves, dans les cas de certains pervers ou toxicomanes, voire dans les maladies psychosomatiques ou dans des affections psychotiques mineures : « En dernier ressort, ‘la parole est au Moi’ », ponctuait l’auteur en s’appuyant sur la notion de « pesée clinique des forces du Moi », toujours invoquée au sein de la Société Psychanalytique de Paris à laquelle il appartenait [7] .

Parallèlement, l’implantation de la psychanalyse au sein des hôpitaux psychiatriques et des Centres Médico-pédagogiques multiplia les initiatives destinées à traiter analytiquement les malades psychotiques les plus graves. La création en 1961 du Centre Alfred Binet dans le cadre de l’Association de Santé Mentale du XIIIème Arrondissement de Paris, allait instaurer une politique psychiatrique pluridisciplinaire où la psychanalyse devait tenir une place prépondérante. Elle s’accompagnait de celle de l’Hôpital de Soisy, expérience à partir de laquelle, entre autres, Paul-Claude Racamier a élaboré les thèses de son livre Le psychanalyste sans divan. D’un autre point de vue thérapeutique, Jean Oury a créé la clinique du château de La Borde où Félix Guattari travailla longtemps, pour y poursuivre jusqu’à ce jour un abord des malades psychotiques lié à l’enseignement de Jacques Lacan.

La « cure psychanalytique », au sens habituel, a donc vu les aménagements techniques proliférer en fonction de l’extension de ses indications, comme cela avait d’ailleurs commencé très tôt avec les débuts de la psychanalyse d’enfants. Celle-ci a eu en France un large développement, comme dans les autres pays, tandis que la prise en charge des parents conduisit à de nouvelles initiatives : psychothérapies familiales et de couples se développèrent, ainsi que la psychothérapie groupale, essentiellement théorisée par Didier Anzieu et René Kaës. A la suite des travaux de Jacob Moreno, le « psychodrame psychanalytique » se perfectionna, sous l’impulsion de Serge Lebovici comme de Didier Anzieu, avec la présence d’un leader, psychanalyste chevronné, chargé d’interpréter les contenus inconscients des scènes jouées par le ou les patients avec les co-thérapeutes. On ne peut, dans ce rapide survol des vicissitudes de la cure et de ses rapports avec une pratique psychothérapique, oublier l’abord théorique et pratique des malades dits « psychosomatiques » tel que l’a développé l’École de Paris de Pierre Marty, Michel Fain, Michel de M’Uzan et Christian David.

Toutes ces extensions ont élargi le champ d’application de la compréhension psychanalytique du psychisme et de ses perturbations plus ou moins graves, mais en France comme dans d’autres pays le contre-coup a été la relative raréfaction des « cures psychanalytiques » au sens classique du terme. Un moment, entre 1970 et 1990, l’inflation de soi-disant « psychanalyses » menées par les trop nombreux auditeurs de Jacques Lacan a pu faire illusion. On a pu penser qu’une grande partie de la population française était « en analyse », mais les masques sont tombés après la mort du Maître et il est apparu que beaucoup de ces aventures n’avaient de psychanalytiques que le nom. Pire, elles ont souvent conduit ceux qui y avaient été soumis à récuser désormais toute proposition d’analyse plus rigoureuse. Le refus du divan est devenu une fréquente exigence, exprimée dès le premier entretien, et il est certain que des aménagements et des transitions devront être entrepris pour redonner à la prescription d’une cure psychanalytique authentique sa valeur perdue. Comme devra se préciser la conduite à tenir en ce qui concerne la prise en charge partielle ou totale des traitements par la Sécurité Sociale, pratique dont on a vu les inconvénients dans des pays voisins mais qui va dans le sens d’une demande publique de « prise en charge » difficile à repousser comme à analyser.

Aujourd’hui, la situation en France est confuse, tant entre les différentes écoles qu’au sein de chacune d’entre elles. J’ai souvent insisté sur la nécessité qu’il y aurait à différencier la « méthode psychanalytique » stable, sur laquelle un consensus devrait pouvoir être établi et publié, au moins dans chaque société, et les « procédés » changeants par lesquels les pratiques psychanalytiques montrent qu’elles s’adaptent à leur environnement socioculturel et économique, à l’orientation théorique de chaque groupe comme à la filiation psychanalytique et à la personnalité de chaque praticien. Si l’on n’y veille pas, la proposition de Jacques Lacan de considérer la psychanalyse didactique comme la seule « pure » deviendra une véritable prédiction : seuls les futurs psychanalystes et de rares amateurs plus ou moins oisifs et fortunés accepteront de se plier aux contraintes d’investissement de temps, d’énergie et d’argent d’une cure classique.

Sans doute pourrait-t-on réfléchir à la notion d’ « écoute psychanalytique » (c’est-à-dire d’une attitude tenant compte du double-sens, du fantasme, du conflit et de l’analyse du transfert) et du mode de pensée spécifique qui en découle. Il y a des conditions pour l’exercer et la rencontre avec certains sujets permet la survenue de ce que l’on peut décrire comme un « processus analytique » qu’il conviendrait donc de mieux préciser. Il est admis que les conditions de la cure classique favorisent son apparition, mais on ne peut plus, au regard des vicissitudes mondiales observées ces cinquante dernières années, conserver une attitude trop rigide. Certaines procédures « non orthodoxes » ont permis sa survenue, l’exemple des pionniers l’avait d’ailleurs largement prouvé, et des psychothérapies psychanalytiques pratiquées par des praticiens expérimentés à l’« écoute analytique » peuvent être parfois plus formatrices que des années passées sur un divan dans une répétition mortifère. Les différents paramètres de cadres dont la délimitation est nécessaire répondent à des conditions théoriques et ne doivent pas être décidés au hasard : le choix du divan ou du face à face est lié à l’appréciation des capacités de régression et de verbalisation exclusive ; la fréquence des séances à l’investissement de la cure et donc à son but, guérison symptomatique ou exploration de soi ; leur durée à l’importance accordée à la référence et à l’analyse du transfert et, bien entendu, du contre-transfert, comme d’ailleurs l’implication éventuelle d’un tiers payant.

Il faut que la communauté psychanalytique réfléchisse aux nouvelles pratiques qui existent dans la réalité de notre environnement socio-économique et culturel (par exemple la notion récente d’un « droit à la santé », ou l’arrêt Perruche sur le droit à la vie « normale » du bébé), ainsi qu’à leurs conséquences sur la formation et l’obtention d’un label de « psychanalyste ». Peut-être en s’ouvrant à l’écoute de davantage de candidats et en prescrivant plus largement la pratique de ces « tranches » d’analyse que Freud recommandait de faire tous les cinq ans. Sinon, ne risquerons-nous pas, de vicissitudes en vicissitudes, de voir la cure psychanalytique subir le sort du couteau de Lichtenberg dont Freud évoquait plaisamment l’image à propos des aménagements théoriques proposé par Carl Jung : « après avoir changé le manche et remplacé la lame, il veut nous faire croire qu’il possède le même instrument, parce qu’il porte la même marque que l’ancien. » [8]

Depuis la mort de Freud, je l’ai rappelé, personne ne peut plus parler au nom d’une « Psychanalyse » dont il serait le seul garant ou le seul dépositaire. C’est dire, dans les discussions sur « psychanalyse et psychothérapie », l’importance des groupements de psychanalystes et la nécessité de les voir définir clairement les buts et les critères qu’ils assignent à ces différentes pratiques. C’est dire également le besoin de faire largement connaître ceux-ci et, en conséquence, l’engagement d’annoncer sans équivoque le groupe auquel chaque praticien a choisi d’appartenir et de se référer dans sa pratique quotidienne. A côté des labels de « médecins », « psychiatres », « psychologues » ou bientôt « psychothérapeutes » décernés par des structures étatiques ou universitaires, il me semble que le meilleur moyen de guider ceux qui souffrent à travers leur recherche d’aide psychanalytique serait que figure sur les informations qui nous décrivent ou les courriers qui nous concernent la mention « Psychanalyste, membre de la Société Psychanalytique de Paris ». Dans le public, chacun pourrait alors se renseigner afin d’apprendre de façon précise les engagements que cela implique et nous préférer ou non tel autre groupement, en toute connaissance de cause.

[1] Laignel-Lavastine, Vinchon, « A propos d’une observation de psychanalyse », Gazette des hôpitaux, 1920, p. 1257-1260

[2] Laignel-Lavastine (1923), Presse Médicale, 8 décembre 1923.

[3] Mijolla Alain de (1988c), « Quelques aperçus sur le rôle de la princesse Marie Bonaparte dans la création de la Société Psychanalytique de Paris », Rev. franç. Psychanal., 5, 1988, p. 1197-1214.

[4] « La cure-type », in : Bouvet Maurice (1968), Oeuvres psychanalytiques, Résistances, transfert, vol. II, Paris, Payot.

[5] Nacht Sacha, Lebovici Serge (1958), “Indications et contre-indications de la psychanalyse chez l’adulte”, S. Nacht, Psychanalyse d’aujourd’hui, Paris, P.U.F.

[6] in : Lacan Jacques (1966), Écrits, Paris, Le Seuil, 924 p.

[7] Held René (1968), Psychothérapie et psychanalyse, Paris, Payot.

[8] Freud Sigmund (1914d), “Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique”, Cinq leçons sur la Psychanalyse, trad. S. Jankélévitch, coll. “P.B.P.”, Paris, Payot, 1989, p. 69-149.

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