Société Psychanalytique de Paris

Éditorial par Denys Ribas, 24 novembre 2015

Éditorial par Denys Ribas, Présidant de la SPP

Ces attentats qui semblaient aveugles ont visé une jeunesse qui aimait et profitait de la vie dans la douceur du soir d’un été qui se prolongeait dans un quartier populaire. C’est la vie et l’amour de la vie qui est le crime puni de mort. En repensant au beau film Timbuktu d’ Abderrahmane Sissako – les enfants jouent au football sans ballon car le jeu est interdit, comme l’est aussi la musique – et aux cibles visées, on peut aussi envisager que jouer au football, écouter de la musique, danser entre hommes et femmes, se désirer, boire un verre au café ou dîner entre amis à une terrasse doivent disparaître car c’est précisément le plaisir qui est visé. Ces meurtres de sang froid, assassinats méthodiques nous glacent d’effroi.  On supprime en un instant une vie qui a eu besoin de tant d’amour pour se développer et devenir libre d’elle-même. Ceux qui les aimaient et les blessés seront marqués toute leur vie par la douleur.

Peut-être est-ce seulement que les guerres et les horreurs dont l’Europe était (presque) indemne depuis qu’elle s’était unie nous atteignent, alors qu’elles sont quotidiennes dans maintes parties du monde. Tous les citoyens se demandent comment résister à l’intimidation par la terreur sans payer un trop lourd tribut de renoncement à nos libertés. La radicalisation qui amène au terrorisme nous interroge, sociologiquement, économiquement, politiquement.

Les psychanalystes doivent de plus tenter de comprendre comment des jeunes gens en viennent à choisir de se tuer en tuant le plus de gens possibles. L’autodestruction et l’agressivité envers l’autre sont habituellement antagonistes dans la psyché. Leur mise en résonnance et en phase vers un même but est particulièrement dangereuse. Nous la connaissions dans la secte mortifère, avec l’effraction des limites psychiques et l’appropriation d’une toute puissance, l’aliénation à un leader qui prend la place de l’idéal du moi, dénaturé en Moi-idéal. Mais comment est-ce possible à distance par une propagande en images ? Quel naufrage psychique y expose ? Et pourquoi cette folie-là plutôt que la psychose, la décompensation psychosomatique, ou la mélancolie ?

Leurs attaques fanatiques remettent ainsi en cause le rapport à la mort de nos sociétés occidentales. « Not afraid » disent des pancartes au milieu des bougies autour de la statue de la République. Il serait plus juste d’écrire, « Afraid, mais vivant quand même, et surtout comme nous l’entendons ». On s’est souvenu ces derniers jours de la devise de Paris. Freud aimait celle de la Hanse : « Naviguer est nécessaire. Vivre n’est pas nécessaire (Freud, Actuelles sur la guerre et la mort, 1915)

Publié le 24 novembre 2015