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La Revanche des méduses

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Mots clés : autodestruction – culture – désastre – nature

A l’heure de la pandémie, désastre sanitaire, qui s’est produite alors que le monde était déjà confronté à des catastrophes écologiques, liées au réchauffement climatique planétaire et à l’accroissement exponentiel de la population mondiale, Jacques André propose une réflexion psychanalytique sur les effets nocifs de l’homme sur son environnement.

 

Les méduses, ces êtres multicellulaires apparus il y a quelques cinq cent millions d’années et qui ne possèdent aucun neurone, prolifèrent et envahissent les océans, alors que par ailleurs l’acidification des mers conduit à un appauvrissement général de la population marine.

En 1748, Carl von Linné a donné le nom de méduse à ce Cnidaire ; Freud a choisi la tête de Méduse comme symbole du sexe de la mère castré/castrateur. L’un et l’autre se sont référés à la seule mortelle des trois Gorgones, dont la tête est hérissée de serpents et qui est caractérisée par sa laideur et son regard pétrificateur pour celui qui osait la regarder.

En 1929 dans Malaise dans la culture, Freud écrivait que le développement culturel pourrait se rendre maître des perturbations liées aux pulsions d’agression et d’auto-anéantissement qui, précise Jacques André, concernent aujourd’hui les quatre éléments : terre, mer, air, feu. Auquel cas, « la symbolisation du désastre en termes de castration est presque devenue une aimable figure ».

L’espèce humaine est la seule espèce sur terre à pouvoir s’autodétruire, détruire les autres espèces, détruire son environnement. Jusque récemment, l’affrontement entre Eros et la destructivité s’est joué entre les hommes, à l’intérieur de la culture. Ce n’est plus le cas, l’adversaire est aussi non humain. Aujourd’hui le mouvement destructif de l’environnement a pris un essor tel qu’il s’auto-entretient et s’emballe. Eros reprendra-t-il le pouvoir à temps ?

Jacques André cite C. Levi-Strauss selon lequel « La culture aurait modelé la nature » et poursuit : le « malaise dans la nature » menace la culture d’effondrement. Ce serait la nouvelle version du malaise dans la culture.

 

Deux expériences anthropologiques depuis Homo sapiensdistinguent l’homme de l’animal et soutiennent le primat de la culture : le culte rendu aux morts et la sexualité caractérisée par la dissociation entre sexualité et reproduction, plus précisément, entre sexualité et génitalité (Freud).

Mais pourquoi une telle inaptitude à l’autoconservation chez l’homme ?

L’autodestruction contemporaine conduit à penser une psychanalyse de la destructivité. Plusieurs pistes sont à suivre parmi lesquelles la haine, le sexuel, la pulsion d’auto anéantissement.

La haine.  Freud en indique l’impact : « Le moi exècre …. tous les objets qui deviennent source de déplaisir. » « Les prototypes véritables de la relation de haine (sont issus) de la lutte du moi pour sa conservation et son affirmation ». Notamment, la limitation des ressources majorée par les désordres écologiques pose la question de l’autoconservation et de la survie et contribuent à l’exacerbation de la haine de l’étranger, des immigrés et à l’expansion du national populisme.

Le sexuel. Les pulsions partielles sexuelles dérivent de l’instinct qui est toujours adapté à la satisfaction d’un besoin, à la conservation de l’individu et de l’espèce. Les pulsions sexuelles, elles, ne savent pas ce qu’elles veulent, … certes le plaisir dont la « satisfaction (est) à jamais inachevée ».  « Ce n’est jamais assez, jamais fini. », d’autant que « ça n’est jamais ça » !

La disqualification des pulsions sexuelles met l’autoconservation en péril.

La pulsion d’auto anéantissement qu’introduit Freud dans Malaise dans la culture.

« Celle-ci n’est-elle que la face négative d’une autoconservation perdue ? Ou relève-t-elle d’une violence positive et autonome, un au-delà du mal où le sadisme profiterait des circonstances ?  Est-ce à partir d’un narcissisme de mort et de haine que la pulsion d’auto anéantissement peut se penser ? »

N’a-t-elle pas été en jeu chez Hitler et dans le devenir du Troisième Reich ?

 

Eros, l’inventivité humaine, la technologie moderne, soutenus par la « conscience morale qui (selon Freud, elle aussi) … demande toujours plus », pourront-ils se rendre, selon les termes de R. Descartes, « maître et possesseur » des effets désastreux de cette destructivité qui menace l’humanité ?

Déjà, citons à titre anecdotique que les méduses sont utilisées dans les stations d’épuration d’eau de mer afin d’éliminer les particules de plastique qui envahissent les mers. Par ailleurs les japonais et les chinois s’en régalent !

Malgré la gravité du sujet, l’humour reste toujours à fleur de texte.

De très intéressantes vignettes cliniques émaillent ce livre pertinent, original, qui offre une réflexion psychanalytique sur les problèmes socio-politiques de notre époque et leurs dysfonctionnements et dont le sous-titre pourrait être : « Malaise dans la culture, malaise dans la nature. »

Cet ouvrage est particulièrement bienvenu alors que se déchainent les entreprises dévastatrices de V. Poutine et la guerre en Ukraine.

 

dominique.baudesson@gmail.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Emoi sensoriel, plaisir sensuel – Le monde secret de l’éprouvé

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Mots clés : hallucinatoire – moi corporel

“Emoi sensoriel, plaisir sensuel”, le dernier livre d’Elsa Schmid-Kitsikis commence par le récit d’expériences personnelles très émouvantes à l’origine de ses interrogations sur la « mémoire des sens », la mémoire corporelle. Quels sont les mécanismes en jeu lors de la réactivation d’empreintes sensorielles et sensuelles datant de l’enfance, et/ou de mouvements identificatoires lors de circonstances bouleversantes ? Que sont devenues entre temps ces traces ?

À partir de ces questionnements, Elsa Schmid-Kitsikis propose une réflexion sur le statut psychique de la sensualité dans ses rapports à la sensorialité. Elle nous fait part d’une étude d’une rare qualité sur la complexité psychique de l’éprouvé, de l’émoi sensoriel en lien avec les traumas psychiques, et de son destin au regard des processus perceptifs, phénomènes à la limite entre le psychique et le corporel. Ils participent à la négativation de la perte de l’objet de la satisfaction hallucinatoire dont les enjeux sont liés à la pulsion et au désir.

Elsa Schmid-Kitsikis met en évidence la complexité des éprouvés :

L’émoi sensoriel, « germe d’affect en puissance » pour reprendre les mots de Freud, ou encore « perception de mouvements internes », est omniprésent et envahit la vie psychique ; il se manifeste de façon immédiate, directement sans passer par le pré-Cs. Il est soumis au pouvoir de l’hallucinatoire.

Le plaisir sensoriel bénéficie d’un potentiel, certes hallucinatoire, mais aussi représentationnel et objectal qui permet le développement de la sensualité. L’accès au sensuel nécessite l’instauration d’un temps interne. En effet, l’intégration d’un corps érogène s’organise à partir d’un lien sensuel précoce dans la relation mère-enfant, temps de l’auto-érotisme primaire, l’enfant acquiert une maturité psychique et évolue vers un érotisme objectal, grâce à l’environnement « facilitateur » de l’objet primaire.

L’investissement psychique de la sensorialité permet le développement de la sensualité, avec mise en mémoire d’expériences corporelles en lien avec le souvenir hallucinatoire de l’expérience de satisfaction, la constitution d’une temporalité et d’une arborescence du désir.

Elsa Schmid-Kitsikis précise : « L’objet de la sensualité est un objet sensoriel qui nécessite un contenant corporel et une motion à la recherche d’un plaisir dans la jouissance. »

On peut concevoir la motion sensuelle comme un « mouvement de décondensation de l’excitation et la mise en réserve de désirs sur le trajet de figurabilité psychique », à partir de l’investissement hallucinatoire de la satisfaction du désir. Cette motion cherche la satisfaction du Moi corporel et assure l’« inscription et l’enregistrement de la sensorialité dans le corps en tant que prémices de l’auto-érotisme. »

« La sensualité bénéficie d’une activité sensorielle, celle qui donne accès au processus fantasmatique de la sexualité infantile. Ainsi la sensorialité et la sensualité constitueraient les deux ferments de la sexualité infantile. »

L’ensemble du travail d’Elsa Schmid-Kitsikis est étayé de multiples vignettes cliniques vivantes et pertinentes qui illustrent les dérives que peuvent provoquer diverses défaillances dans l’instauration de la sensualité.

En effet, si les processus perceptifs sont débordés par l’excitation, celle-ci peut devenir un obstacle à l’éprouvé sensuel et induire un clivage entre l’émoi sensoriel et la sensualité.

Défaillance ou excès dans l’expérience sensuelle avec le corps de la mère durant les premiers mois de la vie peuvent compromettre l’accès au vécu latentiel, voire pervertir l’introjection de la jouissance. Passion chaude sur son versant hystérique, passion froide sur son versant pervers. Elsa Schmid-Kitsikis développe des hypothèses sur les mécanismes en jeu dans le fétichisme, puis une réflexion sur la complexité des problèmes rencontrés à l’adolescence.

Pour avancer ses hypothèses, elle s’appuie sur les textes de Freud, les échanges épistolaires Freud-Fliess, la pensée grecque depuis l’Antiquité qui met en exergue l’importance du corps. Puis elle suit le fil de la pensée psychanalytique au travers de ce qu’Elsa Schmid-Kitsikis appelle les « artisans de la vie sensorielle » auxquels elle rend hommage et dont elle met leurs points de vue respectifs en perspective avec les siens : H. Wallon, J. Piaget, D.W. Winnicott, W.R. Bion. Les « signifiants formels » tels que développés par D. Anzieu pourraient représenter les paramètres d’une formalisation de l’expérience psychique sensuelle.

À noter quelques fragments autobiographiques de D.W.Winnicott particulièrement émouvants.

En conclusion, la sensualité, soit l’aboutissement dans le registre plaisir-déplaisir et ses déclinaisons nuancées, est issue d’un processus qui se développe à partir de la sensorialité. Lorsqu’à l’occasion d’un choc traumatique survient de façon inattendue un émoi sensoriel induisant une modification du régime énergétique, certaines liaisons entre affects et représentations de choses et de mots se modifient brutalement et peut se produire la réactivation de moments autrefois vécus, autrement dit un ressaisissement du passé.

La culture d’Elsa Schmid-Kitsikis est étendue, sa rigueur de pensée exceptionnelle. Ce livre dense et original aborde des problématiques rarement étudiées. C’est un outil de travail. Ce livre fait réfléchir. À lire sans tarder.


Le Narcissisme

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Le concept de narcissisme constitue une des pierres de touche de la structuration de la personnalité. C’est ce que montre brillamment Paul Denis dans cet ouvrage clair et pertinent. Après en avoir explicité toute la prégnance en se référant à la vie d’Édouard Manet, l’auteur entreprend une étude exhaustive en exposant les différentes théories du narcissisme, à commencer par celles de Freud. Il montre comment le narcissisme organise la personnalité, structure les fondamentaux de tout un chacun, en particulier pour ce qui est de son identité sexuelle. Allant plus avant, l’auteur insiste sur les manifestations de l’économie narcissique dans la vie quotidienne. Exaltation, dépersonnalisation, vécu dépressif, honte, indignation, rage narcissique … témoignent d’une métabolisation plus ou moins heureuse du narcissisme. Le surinvestissement du corps, le dandysme, le narcissisme social, l’exacerbation du sens de l’honneur comme l’affirmation d’invulnérabilité à l’œuvre dans le registre phobique sont autant de symptômes qui peuvent participer à la « cohésion narcissique » d’un individu. Si « la relation amoureuse […] est faite d’un tissu d’investissements de soi-même et d’autrui », le besoin d’emprise sur l’autre, l’exigence de « la subordination totale aux besoins du sujet […] et à ses modalités de plaisirs », « la dimension destructrice d’attaque contre le psychisme de l’autre » sont caractéristiques de la perversion narcissique. Quant à la perversion sexuelle, Paul Denis y voit « l’expression érotique de la perversion narcissique».
Les situations cliniques impliquant une souffrance narcissique importante conduisent en général à proposer une psychothérapie en face à face plutôt qu’une analyse classique ; un transfert en alter ego (H.Kohut), ainsi que la composante relationnelle de la situation, peuvent alors se déployer et permettre une approche très progressive des conflits psychiques, opération comparée à celle du déminage par P.Marty.
Paul Denis pose la question de l’influence des systèmes sociaux actuels sur l’organisation psychique des individus. Ne favorisent-ils pas une forme de narcissisme fondé sur un droit à la reconnaissance qui reposerait sur le seul fait d’exister et conduirait à la revendication d’un « droit à » : à un diplôme, un enfant … ? Ce texte se termine sur un vœu : que la société puisse aussi soutenir un « Narcisse responsable, autonome, capable d’aimer et travailler ».
Ce livre élégant et nourri d’une grande culture que soulignent les nombreuses références littéraires éclaire d’une lumière limpide le concept psychanalytique de narcissisme.


La symbolisation

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Freud a introduit une nouvelle dimension au concept de symbolisation en établissant un lien entre les symboles conscients et les symbolisés inconscients , ce qui a rendu « impérieuse » l’exigence de l’interprétation.
Alain Gibeault montre les implications qui résultent de la définition de ce concept et de ses corollaires au niveau de la théorie et de la clinique psychanalytiques et, en conséquence, au niveau de l’histoire de la psychanalyse.
Le symbolique peut être assimilé au sémiotique  comme capacité de production de signes verbaux et non verbaux susceptibles d’organiser l’expérience; les conceptions d’E.Cassirer, C.Lévi-Strauss, J.Lacan participent d’une théorie de la fonction symbolique qui atteste la primauté du linguistique. Ch.S.Peirce s’inscrit dans cette perspective, si ce n’est que, selon lui, celle-ci s’avère une définition trop large du symbolique : l’enjeu est au cœur de la confusion entre le signe et le symbole.
De façon schématique, pour F. de Saussure, le signe désigne au sein de la langue une relation de signification entre le signifiant et le signifié, relation nécessaire et immotivée, le symbole renvoie à une association plus ou moins stable entre deux signifiants ou deux signifiés, relation non nécessaire et motivée, selon des rapports de contiguïté et de similitude. La définition du signe par Ch.S Peirce : « quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre » implique une relation triadique, sujet, interprétant, objet. Le symbole devient une catégorie du signe définissant le signe linguistique dans sa dimension d’arbitraire.
Selon les termes d’U.Eco, « la sensation que ce qui est véhiculé par l’expression pour nébuleux et riche que ce soit vit dans l’expression », dans le symbole, aussi y a t-il nécessité d’interprétation, au risque de s’enfermer dans le silence et l’incommunicable. Pour Alain Gibeault, la dimension sociale et communicable devrait faire partie du symbole. Le danger réside en ce que le passage à la reconnaissance sociale cherche la référence au code qui renvoie à l’univocité. Le risque est que celui qui a la clef de l’interprétation a le pouvoir, dans la mesure où le pouvoir s’exerce à partir du code. Ainsi les enjeux des théories psychanalytiques et les luttes de pouvoir qui y sont liées peuvent renvoyer au besoin de « légitimer par une théologie la pratique du mode symbolique ».
À partir du concept de symbolisation, A.Gibeault analyse l’histoire de la découverte de la psychanalyse, l’évolution de la réflexion de Freud sur les processus de symbolisation à propos du symptôme hystérique et de la théorie du symbole mnésique, et la symbolique du rêve. Il analyse l’enjeu de la symbolique de l’argent dans la cure.
La symbolisation étant un processus qui utilise la projection, A. Gibeault montre les rapports entre la projection et l’identification projective, les points de convergence de la pensée freudienne et de la pensée kleinienne dans la théorie de la projection comme processus et mécanisme de défense.
Puis, des illustrations cliniques allant de la psychose à la névrose, de l’enfance à l’âge adulte, permettent de mesurer la portée clinique et technique des enjeux qui se sont développés autour de ce concept.
A.Gibeault poursuit en montrant les similitudes et les différences du concept de symbolisation avec les concepts de représentation, de sublimation et de création.
L’art préhistorique du Paléolithique témoigne de l’intérêt précoce de l’homme pour la symbolisation ; il est la preuve d’un imaginaire mythique dont les secrets échappent et d’un travail de transformation de la pulsion qui « à la fois dissimule et montre dans un mouvement de lutte contre la détresse ».
Si la réflexion sur les processus de symbolisation a privilégié la dimension du transitionnel, elle a été soutenue par la question des origines, de l’originaire, des fantasmes originaires.
L’enjeu du travail de symbolisation au cours de la cure consiste à augmenter la vérité historique du monde interne du patient en élargissant sa dimension fantasmatique et narrative et à ouvrir à la possibilité d’accéder à un nouveau mode d’être. Ce travail va de pair avec le développement de la créativité du sujet.
Le travail analytique est une co-création qui fait référence à la symbolisation et à la sublimation, processus fondamentaux de ce travail de pensée qui relève aussi d’une capacité à « jouer » que le travail analytique devrait permettre d’acquérir.
L’interprétation psychanalytique a une fonction symbolisante, dans le contexte de la cure et dans le contexte de la culture. Elle intervient sur le mode de la « proposition » qui permet au jeu de la négation de s’exercer et de relancer le processus de pensée.
Le mode symbolique devrait échapper à la dimension du code qui renvoie à l’univocité, pour laisser ouverte la possibilité d’une « infinie dérive ». Cependant, faut-il irrévocablement choisir entre le recours à une interprétation explication en rupture avec le flot associatif et une interprétation en contact avec le flot associatif, allusive, laissant libre cours au développement de la polysémie, ou bien n’y a t’il pas nécessité d’une dialectique entre ces modalités interprétatives ? Chemins de la symbolisation  est le résultat d’une formidable recherche sur la symbolisation et les processus de pensée, sur les processus psychiques à l’œuvre depuis les origines de l’humanité et de son corollaire, l’interprétation. Ce livre est un exceptionnel outil d’informations et de réflexions.


L’amour de la différence

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Dans Le Féminin mélancolique, Catherine Chabert s’est intéressée « aux excès narcissiques de la mélancolie » et à leur logique d’effacement comme tentative d’annulation de la différence moi/autre et de la différence des sexes.

L’originalité des textes réunis dans L’amour de la différence est d’insister sur les « mouvements sexuels qui ordonnent ces configurations », sur les effets de la bisexualité et de la logique « de la différence qui soutient et affirme l’existence et la reconnaissance d’objets internes pris dans les réseaux de la sexualité, quels qu’en soient les registres » et dont on retrouve les traces au fondement, dans la dynamique et l’intimité la plus absolue de toute psyché.

C’est ainsi qu’au cours de la rencontre analytique, « une intimité extrême y côtoie une étrangèreté radicale ». Entre la nécessité de penser secrètement et l’exigence de la méthode analytique de tout dire, se déploie une histoire singulière, créée par le patient et l’analyste, qui constitue ce que Catherine Chabert propose d’appeler « le noyau de l’intime » qu’il est difficile de transmettre sans crainte de trahison.

La fiction peut permettre d’approcher l’expérience au sens de ce qui s’éprouve. Et c’est à partir de l’analyse psychanalytique de textes littéraires et de vignettes cliniques que Catherine Chabert montre de façon éclairante les effets dus aux déclinaisons de la psychosexualité qu’impliquent les problématiques de perte.

Elle propose une réflexion sur le sens de l’attente « entre-deux » ou « entre-eux-deux », de l’attente entre crainte et espoir, sur les effets délétères d’une culpabilité inconsciente que l’on rencontre dans la mélancolie et certaines formes graves de masochisme moral, sur la virulence d’un surmoi au féminin, sur la perception, en-deçà des mots, d’affects pris dans le corps du transfert, sur la signification métapsychologique du mépris -une notion qui n’est pas analytique-, qui peut constituer une méprise lorsqu’il revient sur le moi assailli par l’ombre de l’objet, sur les notions de triomphes narcissique et maniaque …

La haine de la différence, la jalousie ne trouveraient-elles pas leurs sources dans les traces laissées par des identifications sexuelles effectives ?

Catherine Chabert analyse les pièges que peuvent tendre le narcissisme et la mélancolie vers l’accès à la reconnaissance de l’autre dans sa différence. Et elle pose la question : n’existe-t-il pas une part de mélancolie dans toute cure ?


Les enfants de l’indicible peur. Nouveau regard sur l’autisme

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Psychanalyste d’orientation lacanienne, qui a été professeur à l’université Paul Valéry de Montpellier, Henri Rey-Flaud s’est notamment attaché à l’étude du fétichisme dans l’œuvre freudienne (Comment Freud inventa le fétichisme… et réinventa la psychanalyse, Payot, 1984) ainsi qu’au Moïse de Freud (Et Moïse créa les Juifs… Le testament de Freud, Aubier, 2006). Depuis 2008, il s’est tourné vers la compréhension de l’autisme, avec L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage (Flammarion 2008, réédition dans la collection Champs en 2010). Il y défend une conception de l’autisme comme arrêt du développement à un stade primordial dominé par les sensations ; l’enfant a besoin d’être relancé dans la dynamique du langage, avec un entourage restauré, ce qui suppose d’avoir compris la nature des processus psychiques régissant les premiers échanges entre le nourrisson et les parents. Il s’agit à la fois de ré ouvrir les possibilités de communication, en identifiant le court-circuit qui a coupé l’enfant de la possibilité du partage et de redonner leur sens aux conduites autistiques. L’enjeu est de reconnaître avec respect la particularité de l’autisme ainsi que sa douleur et de le réintégrer dans la relation et la communauté humaine. L’étiologie de l’autisme reste une énigme, les causes en sont multifactorielles, mais il est essentiel non seulement de ne pas oublier que l’enfant autiste est notre prochain, mais de savoir le reconnaître réellement, y compris dans ses conduites les plus énigmatiques ou apparemment aberrantes.

Son nouvel ouvrage, Les enfants de l’indicible peur, prolonge et élargit cette perspective, au point de se présenter comme un « nouveau regard » sur l’autisme. S’opposant à la conception d’un déterminisme organo-génétique, qui fixerait l’autisme dans un destin irrévocable ne permettant que l’aménagement d’une rééducation, l’auteur veut montrer que, même dans le cas de l’autisme, le sujet humain est toujours en puissance de répondre à « l’adresse primordiale de l’Autre » (incarné au début de la vie par le visage maternel) ; l’autisme est alors moins un handicap qu’une réticence énigmatique quasi délibérée envers l’Autre, un retrait originel qui s’apparente à une rébellion, mais qui procède en même temps d’une réaction de défense à une « terreur sans nom ». Il ne faudrait pas que le retrait des enfnts autistes fasse ignorer la richesse de leur univers psychique insoupçonné. Paradoxalement, selon Henri Rey-Flaud, l’autisme n’est pas, comme la psychose, une incapacité à symboliser, mais plutôt une forme de symbolisme primordial privé de l’adresse à l’autre. Dans la mesure où elle peut rendre compte de la genèse du sujet humain, la psychanalyse peut appréhender avec une attention respectueuse l’énigme de la peur et du retrait autistique, les conduites d’apathie ou de fureur, la capacité à se « débrancher » de l’adulte, les jeux stéréotypés ou la tendance à enduire la mère ou le thérapeute de morve ou de salive, et y reconnaître les éléments d’un puzzle cohérent, à même d’éclairer l’archéologie de la naissance psychique de tout homme et des conditions de son accès au langage.

Si l’on peut discuter certaines interprétations de cet ouvrage ambitieux, en particulier sa conception de la symbolisation qui mériterait un examen plus différencié des différents types et niveaux de symbolisation et de sa genèse, cet ouvrage – qui fait appel à l’ensemble de la littérature concernant l’autisme (à l’exception regrettable des publications de Denys Ribas et de Martin Joubert), et notamment aux écrits d’autistes qui ont pu accéder au langage et rendre compte de leur histoire, représente une synthèse réfléchie qui interprète les conduites autistiques à partir d’une orientation psychanalytique exclusive mais élaborée et suggestive, stimulante – plus théorique que clinique malgré la collaboration avec un éducateur –, dans une perspective humaniste et éthique optimiste.


Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904

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Voici la première publication en français de l’intégralité de la correspondance échangée entre Sigmund Freud et Wilhelm Fliess, compte non tenu des documents perdus ou détruits. L’édition précédente fut établie par Marie Bonaparte, Anna Freud et Ernst Kris dans les années 50 ; il s’agissait d’une version expurgée ; il ne fallait notamment pas « contrevenir à la discrétion médicale ou personnelle ».

Cette édition comportait alors 153 lettres sur les 284 lettres recensées, dont seulement 11 étaient intégralement reproduites, et 15 manuscrits. Elle était suivie par « Esquisse d’une psychologie scientifique ». L’édition allemande de cette version parut en 1950, les versions anglaise et française, respectivement en 1954 et en 1956.

Jeffrey Moussaïeff Masson a permis que soit publiée pour la première fois l’intégralité des documents retrouvés. En 1978, il a rencontré Anna Freud et, avec l’aide de K.R.Eissler, l’a convaincue de l’intérêt d’une publication complète de ces échanges épistolaires. Ainsi, en 1985, furent publiées en anglais 287 lettres, 284 de Freud dont deux à Ida Fliess et 3 de Fliess. « Esquisse d’une psychologie scientifique » a été repris tel quel ; seule la traduction en est différente.

L’édition complète des lettres, enrichie encore de deux manuscrits C/2 et O et d’une série de « documents joints » à certaines lettres, a été réalisée, en allemand, en 1986, grâce à Michael Schröter. La traduction française a été effectuée par Françoise Kahn et François Robert qui travaille dans l’équipe de Jean Laplanche à la nouvelle traduction des Oeuvres Complètes de Sigmund Freud.

Cette publication de la correspondance entre Sigmund Freud et Wilhelm Fliess permet de suivre, de façon plus significative et vivante, l’évolution de la pensée de Freud, ses doutes, l’enracinement de la théorie dans l’intime de sa vie, ce d’autant que ces écrits sont contemporains de son auto-analyse. Cette version constitue une mine d’informations qui, de plus, est très agréable à lire.


L’Intrus

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À l’occasion de la transplantation cardiaque qu’il a dû subir, Jean-Luc Nancy réfléchit à l’existence d’un intrus, d’un étranger en soi-même.

« L’intrus s’introduit de force, par surprise ou par ruse, en tout cas sans droit ni sans avoir été admis », « S’il reste étranger au lieu de simplement se « naturaliser », sa venue ne cesse pas. »

L’intrus est un dérangement, un trouble dans l’intimité qui, en l’occurrence, s’introduit à l’occasion de la maladie. Le cœur défaillant, la suspension du continuum d’être, la transplantation cardiaque elle-même, le suivi médical qui s’impose, les restrictions dans le mode de vie, les pathologies liées au traitement, notamment immunitaires responsables de rejet ou d’infections, les multiples pathologies liées aux effets secondaires négatifs des médicaments, sont responsables d’« étrangèreté » chez l’hôte.

Finalement, se produit une continuité dans les intrusions, du fait des contrôles, surveillances, thérapeutiques, manifestations cliniques des symptômes au premier rang desquels la douleur.

La notion d’identité est mise en cause. L’étrangèreté est double, il y a celle qui vient de l’autre en soi, et finalement celle de soi à soi-même. « L’intrus est en moi et je deviens étranger à moi-même », un androïde de science-fiction ou un mort-vivant, écrivait-il, en référence à l’expérience traversée.

Mais le sentiment d’étrangeté est inhérent à la nature humaine, puisque l’homme devient ce qu’il est, s’altère, à la fois s’aiguise et s’épuise, il est intrus dans le monde aussi bien qu’en lui-même. En effet, quelques après la rédaction de ce texte, Jean-Luc Nancy ajoutait un post-scriptum et terminait sur la perception de n’avoir plus un intrus en lui, mais de l’être devenu, il s’agit là de la conscience de sa propre contingence, source d’une « joie singulière ».

Dans ce livre très émouvant, le thème de l’intrusion et de la perception d’étranger en soi conduit à une réflexion sur la nature du Je et sur la notion d’identité laquelle concerne évidemment la réflexion psychanalytique.


L’Utérus artificiel

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L’ectogenèse, thème de L’Utérus artificiel d’Henri Atlan, est un terme inventé par John B.S. Haldane en 1923, pour désigner le développement des embryons humains hors du corps des femmes, depuis la fécondation jusqu’à la naissance.

La gestation en dehors du corps d’une femme est actuellement possible du premier au cinquième jour grâce à la fécondation in vitro, et ses variantes, et à l’insémination artificielle, puis, à partir de la vingt quatrième semaine.

Une difficulté essentielle à laquelle les chercheurs sont confrontés pour réaliser une ectogenèse chez les humains réside dans le fait de devoir apporter le milieu ambiant nécessaire au développement de l’embryon au fur et à mesure du temps, « le placenta assure au fœtus, de différentes façons suivant son âge, l’apport d’éléments nutritifs et d’hormones en provenance de la mère ainsi que l’élimination des déchets de son métabolisme. »

Ces bouleversements technologiques conduisent à interroger les notions d’identité des individus et la nature de l’espèce humaine. À partir de quand peut-on parler d’embryon ? Jusqu’alors, la réponse était dès la fusion des gamètes ; les Anglo-saxons ont récemment inventé l’idée de pré-embryon, de la fécondation au quatorzième jour, au-delà duquel on parlera d’une « personne humaine » ; la tradition française a recours à la notion de « personne potentielle ». Puis, l’absence de fécondation lors des clonages a amené à préciser la définition : « L’implantation couronnée de succès dans un utérus est nécessaire à la qualification d’embryon ».

Si les développements techniques peuvent être justifiés par les finalités médicales que constitue le traitement d’avortements spontanés à répétition ou de stérilités, inéluctablement se développera une demande de la part des femmes de pouvoir procréer sans avoir à supporter les contraintes d’une grossesse, selon le droit à disposer de leur corps. « Les barrières entre le vivant et le non-vivant et entre les différentes espèces sont évolutives, existentielles et non essentielles », leur caractère évolutif permet de comprendre qu’il sera aisément possible de les transgresser.

La pratique de PMA a instauré une dissociation entre sexualité et procréation, l’ectogenèse, une dissociation entre procréation et grossesse.

Le lien entre la mère et l’enfant sera modifié, « la maternité dans les conditions d’une ectogenèse, deviendrait très proche des conditions de la paternité, la maternité, en l’absence de grossesse et d’accouchement, devra être construite », « la différence des sexes dans la procréation et la filiation aura disparu en tant que donnée de la nature immédiatement perçue », la parenté deviendra plus sociale, moins biologique. Et de nouvelles identités, féminine et masculine, de nouvelles relations entre les genres et entre les individus, alors, se profileront.

La réflexion d’Henri Atlan ouvre des perspectives, fondamentales et innovatrices, sur les conséquences identitaires, éthiques et socio-culturelles que les nouvelles technologies au service de la procréation et de la gestation peuvent entraîner ; il poursuit une ligne de pensée qui ne peut que vivement intéresser les psychanalystes que l’avenir des sociétés modernes concerne.

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