OUI les psychothérapies psychanalytiques sont efficaces
Comme de nombreux collègues, nous avons vu pris connaissance avec inquiétude de l’article de l’Express (27 mars 2025) dans lequel Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la Psychiatrie, expose son projet d’organisation de la profession des psychologues.
En réponse, le Pr A. Ciccone a initié une pétition qui s’intitule « Non à une psychothérapie d’État ! » * que les psychologues, étudiants en psychologie, enseignants-chercheurs en psychologie, psychiatres, professionnels dans le champ du soin psychique et dans le champ du travail social, usagers des services de soin et d’accompagnement et citoyens sont appelés à signer.
Les enjeux sont cruciaux, ils concernent non seulement tous les psychologues cliniciens mais aussi les psychanalystes.
En effet, Frank Bellivier propose dans ce projet une vision globale du soin psychique conçue sur un modèle médical et en fonction des pratiques recommandées par la Haute Autorité de Santé. Ces recommandations seraient de surcroît opposables aux soignants.
De ce point de vue, pour garantir un soin approprié, M. Bellivier avance qu’il est nécessaire de revisiter les programmes de formation universitaire des psychologues et l’idée de l’instauration d’un ordre des psychologues susceptibles d’encadrer les pratiques et de garantir le respect de la déontologie.
Nous savons que des psychanalystes de la SPP sont psychologues cliniciens de formation initiale. Ils ont été formés à la psychologie clinique à l’Université et y ont souvent été sensibilisés à la psychanalyse. La psychanalyse accompagne l’histoire de la psychologie depuis ses débuts : la licence de psychologie a été créée par Daniel Lagache, philosophe, psychiatre et psychanalyste.
Nous n’allons pas reprendre ici la liste des arguments déployés dans la pétition mais seulement nous arrêter sur un point qui concerne en particulier la psychanalyse et notre société de psychanalyse : celui de l’efficacité des traitements psychothérapiques, axe qui organise naturellement tout le discours du ministère de la santé. Si l’approche psychanalytique est validée scientifiquement et reconnue comme telle par des instances internationales en psychologie et en psychiatrie, où serait le problème de soutenir la formation à la psychologie clinique à l’université ?
Il se trouve en effet que de nombreuses études se sont penchées sur l’évaluation des pratiques psychothérapiques. Nous citerons ici les recherches internationalement reconnues de Bruce Wampold, Professeur émérite de psychologie à l’université du Wisconsin rassemblés dans son ouvrage « The Great Psychotherapy Debate : The Evidence for What Makes Psychotherapy Work » (2015). Ses travaux ont ensuite été développés notamment par le Professeur allemand Christoph Flückiger (2022) et le Pr hollandais Pim Cuijpers (2019), tous deux spécialistes des méta-analyses sur l’évaluation des psychothérapies.
Né à Washington en 1948, Bruce Wampold, après l’étude des mathématiques, s’est consacré à la psychologie de l’éducation, selon un abord cognitiviste, puis, à partir de la fin des années 1990, il a élaboré une série de méta-analyses, destinées à préciser le modèle d’action des psychothérapies à partir d’une approche médicale – ce modèle : un trouble/ un mécanisme étiologique/une intervention ciblée efficace. B. Wampold démontre, nombreuses expériences à l’appui, que les psychothérapies ne peuvent d’aucune façon satisfaire les critères d’une évaluation médicale. Il met en évidence que leur levier d’action reposerait sur un modèle « plus relationnel », plus « contextuel », plus dans le jeu du thérapeute qui se traduirait dans « l’alliance thérapeutique ». Celle-ci serait le reflet de la « singularité de la rencontre thérapeutique », une rencontre toujours en mouvement, déterminée notamment par le rapport du psychothérapeute à sa théorie et à son cadre. Le psychiatre et pédopsychiatre Luc Surjous (2022) a fait une analyse stimulante et rigoureuse de ces différentes recherches. Pour enrichir le concept d’alliance thérapeutique, il convoque l’approche Winnicottienne en situant « le ressort psychothérapeutique dans l’espace dé-standardisé du transitionnel » (Loisel, Surjous, 2025).
Il n’est pas possible de reprendre ici l’intégralité des recherches et conclusions sur la question de l’évaluation de psychothérapies. En France, nous pouvons notamment consulter les travaux du Professeur de psychologie clinique et psychopathologie T. Rabeyron ( 2021 texte en accès libre cf référence ci-dessous, 2023) : il rappelle que plusieurs milliers d’études, menées dans le monde anglo-saxon, dont plus de 300 Essais Randomisés Contrôlés, ont démontré l’efficacité des pratiques psychanalytiques sur le plan psychothérapeutique et, au minimum, leur équivalence sur le plan symptomatique avec les autres formes de psychothérapies et en particulier les thérapies cognitivo-comportementales. Nous vous proposons aussi d’écouter ** un entretien très intéressant entre Bruce Wampold et Pim Cuijpers sur l’efficacité de psychothérapies organisé en octobre 2024 par la chaine de podcast Mindstew.
Enfin, pour en revenir au projet évoqué par Franck Bellivier dans l’article de l’Express, nous ne pouvons que constater qu’il ne tient pas compte de la richesse des résultats de toutes ces dernières recherches. Aussi l’éventualité de l’instauration d’un ordre des psychologues susceptible de sanctionner le recours à certaines approches psychothérapiques ne peut que soulever notre inquiétude…
Olivier Halimi et Cécile Corre
- *Pétition : www.change.org/p/non-à-une-psychothérapie-d-état
- ** Un entretien entre Bruce Wampold et Pim Cuijpets sur l’efficacité des psychothérapies : mindstew.libsyn.com/the-effectiveness-of-therapy-bruce-wampold-and-pim-cuijpers
Bibliographie
- Cuijpers P., Reijnders M., Huibers M. J. H.( 2019).« The role of common factors in psychotherapy outcomes », Annual Review of Clinical Psychology, 15.
- Flückiger C., Horvath A. O., Brandt H.( 2022).« The evolution of patients’ concept of the alliance and its relation to outcome : A dynamic latent-class structural equation modeling approach », Journal of Counseling Psychology, 69, 1.
- Loisel Y., Surjous L.( 2023). L’Alliance thérapeutique – facteur commun des psychothérapies, Caen, MJW Fédition
- Rabeyron, T. (2023). Quel avenir pour les pratiques psychanalytiques dans le contexte actuel et futur de la santé mentale ? Nouvelle Revue de l’Enfance et de l’Adolescence, 8(1), 47-66.
- Rabeyron T. (2021) L’évaluation et l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques et de la psychanalyse. Evol psychiatr 2021 ; 86 (3) 455-488. Recherche en accès libre : https://hal.science/hal-03066492v1/file/S0014385520301110.pdf
- Surjous L. (2022). Le rôle de l’alliance et ses implications en psychothérapie. L’Information psychiatrique 2022 ; 98 (9) : 749-54 doi:10.1684/ipe.2022.2509
- Wampold B. (2015) The Great Psychotherapy Debate : The Evidence for What Makes Psychotherapy Work Londres, Routledge.