Nous avons l’immense tristesse de vous faire part du décès de Gérard Bayle, ce 26 octobre, à l’âge de 82 ans.
Médecin somaticien puis psychiatre, il était membre titulaire formateur de la SPP, affilié depuis 1979. Tant dans sa pratique avec les enfants que dans celle d’analyse d’adultes et de psychodrame, ses qualités de clinicien et de théoricien en ont fait un formateur d’un grand rayonnement, dont nombre de nos membres gardent précieusement l’influence. Sa pensée associait toujours réflexion et sensibilité, sérieux et gaité, profondément inspirée par le jeu. C’est avec un enthousiasme souriant qu’il abordait la théorisation, toujours dans une démarche partagée, collaborative, entrainant le groupe avec lui. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages et articles qui ont fait autorité, en particulier à partir de son rapport sur les clivages en 1996. Déjà en 1988, il avait été lauréat du prix M. Bouvet pour un article sur ce sujet.
Mais c’est avec le plus grand sérieux qu’il a aussi occupé des postes importants dans notre société. Il a été directeur adjoint de la Revue française de psychanalyse avec Claude Le Guen et Jean Cournut de 1988 à 1996. Il a dirigé et développé avec Georges Pragier le Congrès des psychanalystes de langue française de 1998 à 2005. Président de la SPP de 2005 à 2007, il a initié une réflexion institutionnelle et mené une réforme de nos statuts transformant la catégorisation des membres.
Il a aussi participé à de nombreuses créations en collaboration, comme avec Isaac Salem l’association ETAP pour le psychodrame, ou le séminaire franco-britannique,
Nous avons perdu un compagnon de route, aimé de tous, passionné de voile, qui a pris des risques, a su fédérer, développer, insuffler une dynamique institutionnelle.
Nous adressons nos pensées très affectueuses à son épouse Aleth Prudent-Bayle et à ses enfants.
HOMMAGE À GÉRARD BAYLE par ISAAC SALEM
Notre rencontre avec Gérard Bayle remonte à plus de 45 ans quand il exerçait comme médecin généraliste à Asnières et moi comme psychiatre à Courbevoie.
Nous avons commencé presque en même temps notre cursus à l’Institut de psychanalyse. Nous avons débuté ensemble une supervision collective avec Bela Grünberger qui était très jeune à cette époque, il n’avait que 75 ans.(il a vécu jusqu’à 102ans)
Notre amitié s’est renforcée par notre intérêt commun pour le psychodrame.
Nous avons été formés l’un et l’autre par des analystes travaillant au centre Jean Favreau.
Philippe Jaeger, m’a sollicité en 1982, pour créer un centre de Psychodrame dans l’association SPASM. J’ai mis 2 ans à mettre en place ce projet.
J’en ai parlé à Gérard qui a adhéré immédiatement à cette proposition.
Nous avons travaillé ensemble en 1984 en assurant un premier groupe de formation.
Au bout de trois ans, Gérard me poussait à créer un nouveau cadre que nous avons appelé plus tard, « Psychodrame individuel en groupe ». J’ai commencé a expérimenter ce nouveau cadre, avec Gabrielle Mitrani en 1987.
Ensuite nous avons sollicité Nadine Amar pour travailler avec nous.
Très rapidement les groupes de formation, sont passés de trois à 6 formateurs, avec l’arrivée d’Aleth Prudent Bayle, de Gabrielle Mitrani et de Philipe Vallon.
Forts de cette riche expérience, Nadine Amar, Gérard et moi-même avons commencé à écrire un livre sur la formation au psychodrame qui a été publié chez Dunod, avec les encouragements de Didier Anzieu.
Tous les trois avons décidé de démarrer un séminaire de formation à la psychanalyse à l’institut.
Ce séminaire a commencé sur le thème du deuil, puis du traumatisme et enfin de la séduction. Très vite ce fut un succès. Nous étions près de 40 jeunes collègues à ce séminaire. À l’enthousiasme de nos réunions s’ajoutait une relation amicale entre nous, c’est comme cela qu’a la fin des séminaires nous allions parfois, avec Gérard et Nadine, boire une coupe de champagne dans le camion que Gérard avait aménagé pour le camping.
Ou parfois lorsqu’on invitait des collègues chevronnés comme René Roussillon ou Paulette Letarte nous finissions au Ritz avec une coupe de champagne. À cette époque, dans les années 90 on nous prêtait une veste et une cravate pour accéder au bar.
Tous les trois nous avons décidé de compléter la formation clinique au psychodrame, par une formation théorique en proposant des conférences mensuelles et un colloque annuel.
Nous avons regroupé, pendant des années, ces conférences ainsi que les exposés du colloque dans un ouvrage.
C’est ainsi qu’une nouvelle collection est née. Nous avons maintenant, près de 25 livres. Chaque année, un exemplaire était offert à la bibliothèque de la SPP et à la BNF.
Cette collection continue. Elle est éditée maintenant chez L’harmattan grâce à Monique Selz.
Nous étions complémentaires : Gérard était le théoricien, Nadine et moi les débatteurs et les critiques.
Moi, je m’occupais d’organiser les colloques et les conférences ainsi que leurs publications.
Dans cette dynamique ce centre de traitement et de formation est devenu très vite un centre de recherche en psychodrame.
De nombreux groupes y ont été créés et ont essaimé, aussi bien au Centre Jean Favreau qu’au Centre Evelyne Kestenberg. Nous avons contribué ainsi à donner ses lettres de noblesse au psychodrame.
En effet, dans les années 70 la plupart des analystes de la SPP, pensaient que le psychodrame n’était pas de la psychanalyse.
Gérard en 1995 a présenté un rapport dans le cadre du congrès des psychanalystes de langues françaises : « clivages et fonction synthétique du moi ».
Après ce congrès Gérard a décidé d’en faire un livre : « Clivages, moi et défense » paru au fil rouge -PUF en février 2012.
Dans ce livre, Gérard propose des formulations très condensées comme : « pas de clivage sans collage » « tu cliveras ton prochain comme toi-même, » « le clivage est la résultante d’un déni et d’une idéalisation. »
C’est dans ce livre que Gérard définit ce qu’il entend par « clivage fonctionnel » : « le clivage fonctionnel est une réaction immédiate de défense contre une attaque de la psyché, défense habituellement transitoire. Le clivage structurel est engendré chez les enfants et avec leur participation, par le maintien excessif d’un clivage fonctionnel des parents ».
« L’une des fonctions du clivage est de repousser la conflictualité psychique, et de protéger des blessures narcissiques par débordement traumatique. Le clivage est bien le résultat d’un déni et d’une idéalisation, la seule défense est bien celle du déni du moi. »
« Les clivages structurels sont le résultat de défenses contre une carence narcissique par défaut de symbolisation et de subjectivation. »
Là, je pense que Gérard Bayle partageait l’avis de Benno Rosenberg qui déclarait dans une conférence à ETAP en 1998, que « le psychodrame était le meilleur outil pour traiter le clivage dans les psychoses. »
On peut aller un peu plus loin en énonçant que le psychodrame est l’outil spécifique pour traiter le clivage dans toutes les pathologies narcissiques, psychotiques ou état limites.
L’ambition de l’analyste n’est pas de supprimer les clivages, mais de les aménager pour relancer la croissante psychique.
Le temps a passé. Puis un jour, Nadine est tombée malade et a dû cesser ses activités dans notre centre. Gérard et moi avons poursuivi le développement du Centre ETAP.
De nouveaux formateurs nous ont rejoint et progressivement, ont formé une nouvelle équipe : Sophie Benoit Lamy, Béatrice Braun, Fabienne de Lanlay, Serge Franco, Lorenzo Inghirami, Brigitte Kammerer, Agnès Lauras Petit, Alexandre Morel, François Pelletier, Monique Selz, Elsa Stora, Nirina Rakotomanga, Thierry Schmeltz.
Je garderai longtemps en mémoire le plaisir de diriger un psychodrame et de voir Gérard dans son jeu d’acteur : il avait un humour débordant qui aidait les patients à dépasser leurs résistances.
Gérard était un ami, un collègue Brillant, une intelligence stimulante. C’est comme un grand frère que j’ai perdu.
Je partage la douleur et le chagrin d’Aleth et des trois enfants de Gérard.
Isaac Salem le 6/11/2023