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« Le complexe d’Œdipe est le corrélât psychique de deux faits biologiques fondamentaux : la longue dépendance infantile de l’être humain et la manière remarquable dont sa vie sexuelle atteint, de la troisième à la cinquième année, un premier point culminant, pour ensuite, après une période d’inhibition, entrer en jeu à nouveau avec la puberté. » Sigmund Freud, Abrégé de psychanalyse, 1938.
En 1895 Sigmund Freud avait déjà considéré le fait suivant : « La date tardive de la puberté rend possible la production de processus primaires posthumes. »
Ces deux citations encadrent bien et définissent en même temps la portée et l’importance de notre considération pour la psychanalyse de l’enfant.
La psychanalyse d’enfant est une réalisation de la méthode psychanalytique dans une situation clinique qui a ses spécificités. Chaque situation psychanalytique demeure pour autant unique. Avec l’enfant, c’est la technique par le jeu et ses conséquences qui est spécifique. Les limites du langage de l’enfant semblaient annoncer son inaccessibilité à l’approche psychanalytique. En fait, le jeu introduit une différence technique mais pas une différence de nature dans le travail psychanalytique. Il permet à l’enfant une expression transformée car devenue symbolisée de ses angoisses grâce au transfert inhérent à la situation.
Historique
La technique de l’association libre s’appuyait sur la découverte du transfert et de sa valeur de répétition quant à ce qui est soumis au refoulement. L’interprétation était conçue comme un moyen d’élargir les limites du conscient. À partir de 1920, la méthode a cherché son équivalent dans la rencontre avec l’enfant.
S. Freud a démontré, à partir du fonctionnement névrotique adulte, la complexité du développement psychique de l’enfant. Ainsi la levée du refoulement s’avérait comme révélant du psychique jusque là inaccessible mais préservé. La sexualité infantile et les théories sexuelles infantiles qui découlent de cette découverte, dévoilent, outre les phases du développement libidinal humain, l’influence de la génitalité sur le développement psychique de l’enfant. Cette découverte représente aujourd’hui encore l’une des plus fortes raisons de résistance à la psychanalyse. S. Freud découvre que les liens aux premiers objets de dépendance jouent un rôle central pour le développement futur de la libido. Les relations objectales, la réalisation hallucinatoire du désir, l’ambivalence des sentiments, le développement libidinal et ses phases : orale, anale, phallique et génitale, les identifications et la construction du Moi, de l’idéal du Moi et du Surmoi, la bisexualité établissent l’identité du sujet au cœur d’un triangle nécessairement œdipien : père-mère-enfant, marqué par l’interdit de l’inceste et dont la conséquence est le complexe d’Œdipe. Celui-ci fonde universellement l’humain, sa pensée, ses cultures, ses religions et sa vie en société. En outre, chez l’humain et d’une manière qui lui est spécifique, la pression de la pulsion est constante cependant que le complexe œdipien évolue et se constitue en deux phases (biphasisme), séparées par une phase de latence. De cette phase de latence résulte une capacité à la sublimation. C’est la phase des apprentissages et de la sociabilité qui suppose que l’excitation antérieure et la violence qui lui est inhérente (loi du talion) passent au second plan et trouve les voies de la symbolisation plutôt que celles de la pathologie liée à la prédominance du processus primaire et du négatif. La plupart des événements et tendances psychiques, antérieurs à la période de latence, sont frappés d’amnésie. Donc pour Freud, le complexe d’œdipe, en tant que fait de culture, résulte de la longue dépendance infantile et de la période d’inhibition sexuelle que représente la phase de latence. La floraison sexuelle précoce doit succomber pour se faire au refoulement. En effet les formations réactionnelles de la période de latence, physiologique, forment les bases de la morale, de la pudeur et du dégoût.
En 1905, les Trois essais sur la théorie de la sexualité 1 proposent selon ce point de vue une méthodologie pour connaître le développement et l’organisation psycho-dynamique de l’enfant et de l’adolescent. En 1909, Freud écrit L’analyse d’une phobie chez un garçon de cinq ans (Le petit Hans) 2. Même si nous ne pouvons considérer qu’il s’agit du récit d’une cure telle qu’elle serait pratiquée aujourd’hui, Freud confirme, ici chez l’enfant, ses vues sur le développement libidinal, l’importance du complexe de castration et du complexe d’œdipe tels qu’il a appris à les déduire à partir de la cure psychanalytique des adultes névrosés. Enfin en 1920, dans Au-delà du principe de plaisir 3, S. Freud décrit l’importance de la recherche de plaisir par rapport au déplaisir dans le jeu d’un enfant. Ce jeu de la bobine dévoile une fonction : celle de corriger les angoisses de perte d’objet et d’assurer les tendances dépressives. C’est ainsi que la tendance à la répétition du refoulé et le désir de maîtrise deviennent les moteurs essentiels et les fondements de l’activité ludique. C’est en cela que l’activité ludique est indispensable à l’enfant.
Les pionnières et initiatrices de la psychanalyse de l’enfant sont Hermine von Hug-Hellmuth et Anna Freud à Vienne, Melanie Klein à Budapest et Berlin puis à Londres et Eugénie Sokolnicka à Paris. La naissance de la psychanalyse des enfants se fera, dès 1922, dans une violente confrontation entre deux tendances, représentées bientôt par ce qu’on pourrait appeler « l’école d’Anna Freud » et « l’école de Melanie Klein ». Les termes les plus approfondis de ces débats s’épanouiront dans ce que l’on a nommé Les Grandes Controverses à Londres à partir de 1941 4.
On a pu sommairement opposer une psychanalyse de l’enfant qui se voulait une application des principes de la psychanalyse à l’environnement et à l’éducation de l’enfant, c’est la tendance d’Anna Freud à ses débuts, et une psychanalyse d’enfant qui défend l’idée d’un transfert par l’enfant sur le psychanalyste, transfert qui est alors analysable, c’est la conviction de Melanie Klein et des analystes qui l’entourent.
Melanie Klein a mis au point la technique de la psychanalyse par le jeu. Elle défend d’emblée l’idée d’un transfert au sens complet du terme. Elle analyse les aspects négatifs du transfert toujours présents dès le début de la cure. C’est ce qu’il faut savoir reconnaître et interpréter dès le début pour abaisser le seuil d’angoisse. Ce fait suppose de considérer de surcroît l’existence précoce d’un Surmoi sévère chez l’enfant.
Anna Freud de son côté, après une expérience originale d’école, l’école de Hietzing, fondée en 1927 et largement influencée par la théorie psychanalytique à Vienne, lors de son installation à Londres en 1938 concevra, comme elle le définira, « quelque chose entre une crèche et un jardin d’enfants » qui prodigue aux enfants les plus pauvres des soins physiques et psychologiques. C’est à partir de cette expérience qu’elle créera avec Dorothy Burlingham, en 1940, les Hampstead War Nurseries à Londres. Ces crèches de guerre s’enrichiront d’une fondation, The Hampstead Child Therapy Course and Clinic, où se pratique et s’enseigne encore aujourd’hui la psychanalyse des enfants. Cette influence a enrichi la conception, au sein de l’institution, de la rencontre psychanalytique avec l’enfant. Anna Freud a apporté une contribution irremplaçable à la psychanalyse d’enfant par ses travaux sur le moi et ses mécanismes de défenses. Ses travaux influenceront à la génération suivante les recherches sur l’écoute et le traitement psychanalytique des adolescents, ceux de Egle et Moses Laufer en particulier. Sous l’influence de ces derniers, en France, il se créera une véritable école française de psychanalyse pour l’adolescence.
C’est au cours des Controverses que Melanie Klein décrira un concept particulièrement fécond pour la compréhension de la vie psychique et de la fonction analytique. Il s’agit d’un ensemble mécanisme-fantasme : l’identification projective. Avec le clivage, le déni et l’idéalisation, l’identification projective organise la base de la santé mentale. Corrélativement, leur pathologie peut laisser le sujet dans un état de fragmentation. L’intégration du Moi dépend donc des relations d’objet, ce qui ne veut pas dire des parents réels comme on a voulu trop souvent le simplifier par la suite. Avec l’identification projective, ce n’est plus la pulsion seule qui est projetée dans l’objet mais bien des parties du self. En effet ce mécanisme-fantasme permet d’expulser dans l’autre une partie de soi que l’on ressent comme dangereuse ou en danger à l’intérieur de soi. « C’est çui qui dit qui est ! » disent ainsi les enfants. Ce mécanisme est aussi à l’origine de la perception d’une avidité de l’objet dans lequel a été projetée l’avidité de l’enfant. Cela peut expliquer les bases d’une relation persécutrice aux autres et à l’autorité, en particulier.
Wilfred Bion développera l’idée de l’identification projective comme mécanisme normal et comme une contribution centrale à la naissance de la capacité de penser dont le prototype est la capacité de rêverie de la mère et dont l’équivalent dans la cure analytique est l’attention flottante de l’analyste. Ainsi concevra-t-il que des affects très primitifs puissent trouver au sein de la séance le contenant qui permet la naissance de la pensée. Les fonctions de la psyché de l’analyste deviennent primordiales pour l’accession à la capacité de penser les états primitifs d’affects et d’excitations. Les champs des deux psychés sont réciproques et croisés à partir de l’identification projective normale. Le travail ne se situe plus seulement sur le refoulement (Freud) ou sur le clivage (Klein) mais sur l’appareil pour penser les pensées. L’idée de contenant prend là tout son sens. La pensée de W. Bion est primordiale pour la compréhension de la symbolisation, du contre-transfert, du langage interprétatif et de la pensée et ses troubles.
On doit aussi à W. Bion d’avoir souligné l’importance de la groupalité comme organisation venant s’opposer au développement œdipien de la vie psychique individuelle. Cela est fondamental comme fait de culture et s’oppose aux solutions addictives ou de conditionnement s’adressant à l’individu pour l’utiliser et le priver de sa vie. La mentalité de groupe influence donc le moi. De même, à côté des pulsions d’amour et de haine, W. Bion développe l’idée selon laquelle la curiosité, le désir de connaître est une pulsion à part entière : la pulsion épistémophilique.
D. W. Winnicott, pédiatre et psychanalyste a travaillé toute sa vie avec les enfants. Ses travaux, inspirés de la conception de Mélanie Klein, s’en éloigneront et reconnaîtront la fonction de l’objet externe et l’influence de l’environnement primaire. Il insistera sur le « tenir » : le holding et le handling. Il développera la conception originale d’un espace de création, l’espace transitionnel, qui se situe comme intermédiaire dans le champ de la relation précoce et est à la base de la culture. La mère est le premier miroir de l’enfant et la représentation du vécu corporel de l’enfant passe par l’image du corps de la mère. La relation objectale la plus ancienne contient aussi la menace d’annihilation. La présence excessive ou empiètement double l’angoisse d’abandon liée à l’absence de l’angoisse d’intrusion, source de désorganisation. La capacité anticipatrice de la mère ne doit pas excéder les besoins de l’enfant sauf à éteindre son dynamisme propre. D.W. Winnicott a placé la haine nécessaire du côté d’un “suffisamment bon” chez la mère en élaborant la conception d’une haine qu’il placera aussi dans le fonctionnement psychique de l’analyste au travail en parlant d’une “haine dans le contre-transfert”. D. W Winnicott dont les travaux ont inspiré fortement les recherches des psychanalystes, en particulier sur les états-limites, concevra la relation précoce mère-bébé comme étant à l’origine d’une maladie normale, la préoccupation maternelle primaire. Pour D. W. Winnicott, le jeu deviendra le lieu de l’expérience de la réalité, l’espace où se déroulent les contacts, les transitions entre l’intérieur et l’extérieur. Le jeu est un exercice de création d’objets. Le symbole est dans la distance entre l’objet subjectif et l’objet qui est perdu objectivement.
Aspects pratiques
La capacité de jouer ou de dessiner de l’enfant, qui fournit ainsi un texte aussi analysable que les associations libres de l’adulte, vont permettre de préciser le cadre de la cure psychanalytique de l’enfant et celui des psychothérapies psychanalytiques adaptées en fonction des troubles.
Le jeu
En introduisant le jouet et le matériel du jeu avec l’enfant, M. Klein va à la rencontre des fantasmes sous-jacents comme s’il s’agissait d’un récit de rêve. Elle découvre ainsi que l’enfant est dans une activité constante de personnification et donc qu’on peut considérer son activité de jeu comme assimilable aux associations libres. Cette personnification ouvre au théâtre du monde interne et à ses espaces complexes. Toute la vie psychique apparaît dominée par le jeu des fantasmes inconscients et les défenses qui y sont liées. L’analyste devient le lieu de projection des fantasmes inconscients les plus archaïques du patient. Le fantasme inconscient est l’expression psychique des pulsions. Rappelons que S. Morgenstern en France, dès 1937, et Rambert en Suisse, dès 1938, vont toutes deux utiliser le jeu pour écouter les enfants. Par la suite, en France, l’une de ces techniques de jeu prendra un essor considérable : il s’agit du psychodrame psychanalytique dont les conditions seront définies pour être adaptées aux enfants.
Le dessin
Avec le petit Hans qui dessine le fait-pipi de la girafe, nous avons la première expression psychanalytique par le dessin du questionnement psychique chez un enfant. Viendront ensuite les dessins de Richard dont Mélanie Klein donne les interprétations dans La psychanalyse des enfants 5, puis le livre de D. W. Winnicott sur le Squiggle. Le dessin en séance d’analyse est l’expression du fantasme inconscient avec sa référence corporelle. L’extériorisation du monde intérieur de l’enfant qu’il traduit est aussi une projection dans le transfert. Le dessin peut être aussi utilisé comme un rêve qui permet que des associations libres s’expriment. Antonino Ferro plus récemment insiste sur la conception du dessin comme photogramme onirique du fonctionnement mental du couple analytique à ce moment-là.
Cadre
L’aménagement de la thérapie psychanalytique d’un enfant se fait avec l’aide des parents. Pour autant, sans que les parents aient à être soumis à une extra-territorialité humiliante et frustrante, le secret est une règle qui s’applique tout autant en psychanalyse d’enfant qu’en psychanalyse d’adulte. À cette condition, il est possible de créer un espace où la règle de libre association adaptée à l’enfant se déploie. Le cadre est le support du transfert. Ce cadre nécessite une continuité pour permettre au processus psychanalytique de se développer. C’est à partir de cette conception du cadre comme enveloppe et du processus comme contenu que s’expriment les aspects négatifs du transfert si importants en psychanalyse de l’enfant. Le cadre est en effet le contenant de représentations excitantes pour le moi. Dans certains cas difficiles, des indications particulières sont possibles. Il s’agit autant des thérapies psychanalytiques mère-nourrisson que des thérapies familiales psychanalytiques qui requièrent des techniques propres.
L’analyste et la famille
Une particularité de l’analyse d’enfant réside dans le fait que l’analyste est l’interlocuteur d’un enfant et donc de ses parents. C’est une pression non négligeable pour l’analyste que l’attente des parents à son égard alors qu’il est l’analyste de l’enfant. Cette pression concerne tout autant des attentes conscientes – exigences de résultats éducatifs ou scolaires – qu’inconscientes en ce que l’analyste devient un objet de transfert pour les parents eux-mêmes dans leur part infantile. L’analyste d’enfant doit s’attendre à représenter une figure parentale pour les parents de l’enfant dont il assure la cure. Ceci n’est pas une donnée mineure pour le contre-transfert.
Enjeux théoriques
Concepts
La technique du jeu a permis la cure des enfants. Elle a apporté avec elle la définition de concepts fondamentaux comme l’œdipe archaïque, le Surmoi précoce, la phase d’apogée du sadisme, le fantasme des parents combinés, la position schizo-paranoïde, la position dépressive, les mécanismes de clivage du Moi et des objets, l’envie du sein, la défense maniaque comme réparation.
On apprend ainsi que l’introjection des objets d’amour et de haine existe dès les premiers mois de la vie. De ce fait, le conflit œdipien, prend la forme d’un conflit oral : dévorer/détruire, être dévoré/être détruit. L’angoisse ou la détresse sont donc créées par la connexion entre la haine et la pulsion épistémophilique qui peut être mise à mal. Ainsi à l’âge du sevrage, les imagos peuvent être terrifiantes chez l’enfant petit, du fait des frustrations mais aussi des limites à ses capacités verbales que son développement encore incomplet lui impose. C’est là la détresse. C’est là où la compréhension mutuelle est d’une grande importance. Par exemple comment comprendre que les premiers stades du conflit œdipien sont dominés par le sadisme ? Comment y répondre d’une façon éclairante et dans une transmission qui n’impose pas la soumission ? Enfin, notons en passant que c’est à partir de cette observation des tous petits et de leurs manifestations émotionnelles, psychiques, affectives et somatiques que s’est imposée à Mélanie Klein l’idée d’un complexe d’Œdipe précoce.
Omnipotence - L’enfant est donc en grande partie créateur de ses objets en prêtant aux objets extérieurs sa propre agressivité. C’est ainsi que les imagos, ces créations, s’établissent à l’intérieur du Moi mobilisant du même coup les premiers moyens de défense que sont la scotomisation ou négation de la vie psychique.
Clivages et identité - La description du clivage des objets en bons et mauvais objets, le rôle de la projection et de l’introjection précisent les forces en cause dans la construction de l’identité de l’enfant et son intégration. Une part de l’angoisse est la résultante de l’instinct de mort en soi, source de l’instinct agressif primaire non sexualisé.
Inhibition et symbolisation - Toute une clinique de l’inhibition et du détachement chez l’enfant éclaire l’importance de la formation du symbole dans le développement du Moi. Le sadisme attaque toutes les sources du plaisir libidinal. Le développement de l’enfant peut être ainsi dominé par la lutte entre les pulsions de vie et les pulsions de mort. Les fonctions cognitives et le processus de symbolisation visités par la psychanalyse et, particulièrement, par les recherches inspirées de la pensée de Melanie Klein vont s’éclairer et permettre, entre autre, les rééducations des dyslexies, des dysorthographies, des dyscalculies mais aussi des dyspraxies, des dysgnosies et des dysrythmies. La restriction des investissements cognitifs dans certains tableaux de psychoses à expression déficitaire ou dans des états névrotiques ou limites sont ainsi abordables. La capacité de reconnaître les troubles de la fonction symbolique et, par exemple, l’influence persistante d’un fonctionnement psychique dominé par l’équation symbolique (Hanna Segal) est un résultat que nous devons à la psychanalyse. Les formations de l’équation symbolique sont en particulier en relation avec la première relation d’objet. Le symbole n’existe qu’en l’absence de l’objet. En ce sens la symbolisation est processus de défense contre la disparition de l’objet, la dépression et la mort.
Du féminin et de l’envie - Les travaux à partir de la cure des enfants remettent en question le phallocentrisme au cœur de la conception de S. Freud. S. Freud défendait en effet l’idée que l’envie du pénis jouait un rôle central dans l’évolution psychique des filles et dans la conception psychanalytique de la différence des sexes. Melanie Klein a décrit une phase féminine primaire propre au garçon comme à la fille. C’est à la période du sevrage que surgit cette phase à l’origine d’un fantasme : le pénis paternel est incorporé au sein de la mère. Ce fantasme représente l’assise archaïque d’une conception de la scène primitive. Pour Melanie Klein la haine chez la petite fille ne vient pas de l’envie du pénis mais de la rivalité avec le pénis. D. W. Winnicott a développé à son tour une conception du féminin pur.
Discussions
Venant des formulations de la psychanalyse de l’enfant, une première vectorisation des travaux est celle d’une psychanalyse développementale, voire génétique, qui s’attache à rendre compte de la genèse de certaines affections mentales de l’enfant, de certaines issues pathologiques de son développement libidinal.
L’autre vectorisation, issue d’une conception plus processuelle et structurelle du fonctionnement de l’appareil psychique, envisage au cœur de l’expression fantasmatique et défensive plus ou moins archaïque, des positions plus que des stades, des processus plus que des mécanismes. La notion de noyau signifiant se situe alors dans un registre historique et an-historique. Ici, c’est l’économie pulsionnelle et les conflits qu’elle engendre qui est la base d’une psychopathologie dynamique.
Comment penser, avec le développement, l’intégration des fantasmes qui s’observent si évidemment dans le matériel des cures de l’enfant ? Peut-on devant le caractère brut des fantasmes énoncés au présent distinguer fantasmes, pulsions et imagos ? L’intégration de la vie fantasmatique au développement, la question des fantasmes originaires et celle de l’origine des fantasmes sont inséparables d’une reconstruction et d’une élaboration du passé. Si le jeu témoigne de la liberté fantasmatique et transforme l’angoisse en plaisir, du fait de la maîtrise sur la réalité qu’il permet à l’aide des projections sur le monde extérieur des dangers internes, une discussion s’ensuit sur l’interprétation à en donner. Le travail analytique permet de dégager le fantasme de la réalité et conçoit dés lors les fantasmes comme des tentatives d’intégration d’expériences antérieures dans un système relationnel nouvellement acquis. La réussite c’est que ce système relationnel devient compatible avec le système nécessaire à l’intégration au mode culturel du groupe d’appartenance du sujet : école ou famille, fusse dans l’opposition mais permettant une individuation créatrice.
Le rapport de S. Lebovici au XXXIXe Congrès des psychanalystes de langue française 6, porte sur les modèles de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Ce travail qui décrit l’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert, a l’avantage d’éclairer d’un jour nouveau la question de la continuité ou de la discontinuité entre l’enfant et l’adulte, tant au niveau du modèle théorique qu’eu égard à la pathologie et aux troubles « réels.» Ainsi, peut-on lire sous la plume de S. Lebovici que si la position de M. Klein ne lui permet pas de s’intéresser à la névrose de l’enfant, en revanche sa conception des positions psychotiques précoces conduit à comprendre la névrose de l’enfant comme une non-intégration de ceux-ci, donc comme la persistance d’organisations archaïques en contradiction avec le fonctionnement du Moi. La névrose de l’enfant serait la preuve de l’échec de la névrose infantile qui, elle, peut être caractérisée comme névrose de développement et modèle métapsychologique. Donc la névrose infantile est un fait de développement et à la fois un modèle pour sa compréhension. Les conflits de la névrose infantile sont ceux qui viennent se répéter dans la névrose de transfert de la cure des adultes. On voit ici que la question posée est : sachant que si, à tous âges, on peut parler de névrose de transfert, sait-on pour autant si l’enfant est en mesure d’organiser une névrose infantile ? Pour le dire autrement la question bien actuelle devient : la psychanalyse en tant que méthode de ce qu’elle découvre et dévoile a-t-elle les moyens en tant qu’outil thérapeutique d’organiser une névrose infantile chez un enfant envahi par l’archaïsme ? Et à quelles conditions de cadre et avec quels moyens complémentaires ?
Un autre élément de discussion est de savoir si, la cure étant réalisable chez l’enfant, elle permet pour autant de penser que nous assisterions in situ à la « naissance de l’inconscient ». En fait pour bien des auteurs, la psychanalyse d’enfant si précoce soit-elle ne nous fait pas connaître un être plus simple mais une autre complexité. Les logiques à l’œuvre chez l’enfant sont aussi sophistiquées qu’à l’âge adulte. Les différences tiennent aux opérations et aux objets. Le trop fascinant mirage archaïque tombe ainsi de lui-même. En fait les lois du fonctionnement primaire (loi du talion) et les lois du fonctionnement secondaire coexistent et s’opposent. Le risque serait sinon de tomber en résistance à la psychanalyse devant l’obstacle épistémologique que pourrait représenter une référence à l’infantile trop en résonance avec l’analysant. La névrose infantile demeure la reconstruction de la névrose de transfert. On ne peut rabattre l’originaire sur l’origine, incarnant celle-ci dans la réalité.
Disons pour terminer qu’une pensée développementale a longtemps dominé la théorie psychanalytique. Ce fait risquait de nourrir malheureusement certaines conceptions reliant un biologisme naïf à un psychologisme faible. On pouvait dès lors craindre un certain appauvrissement de la psychanalyse. L’histoire ainsi s’inverserait. Là où l’on imaginait, avant la psychanalyse, l’enfant comme un adulte en miniature, mineur, on comprendrait aujourd’hui un adulte selon la norme venu d’un enfant conçu par la psychanalyse. En fait, en plus des recherches propres à la complexité de la vie psychique de l’enfant, celui-ci peut, comme chez certains auteurs ; tels W. Bion s’intéressant aux psychoses et D. Winnicott aux « borderline » représenter une chance de théorie rétrospective de la psychopathologie de l’adulte. Il reste que : « l’enfant est psychologiquement un autre objet que l’adulte. » comme l’écrit S. Freud, en 1933, dans les Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse.
Indications de la psychanalyse d’enfant et cadre
De nos jours, cette question est centrale en France. Les derniers travaux du conseil économique et social datant de 2010 7 soulignent le cadre des préoccupations actuelles des pouvoirs publics. Au niveau mondial, l’OMS considère que cinq des dix pathologies les plus préoccupantes au vingt et unième siècle concernent la psychiatrie : schizophrénie, troubles bipolaires, addictions, dépression et troubles obsessionnels compulsifs. De plus, les troubles psychiatriques sont généralement associés à une forte mortalité. Ils sont responsables de la majeure partie de la mortalité par suicide (10 500 morts en France par an en 2006), de handicaps et d’incapacités lourds ainsi que d’une qualité de vie détériorée pour les personnes atteintes et leurs proches.
Les troubles mentaux génèrent de l’exclusion. Un tiers des personnes sans abri souffre de troubles psychiques graves (Enquête Samenta, Observatoire du Samu Social, 2011).
Les troubles mentaux sont des maladies, la psychiatrie est une discipline médicale, la personne malade est un sujet. Les avis à donner, les décisions à prendre sont donc nécessairement éclairées par les données de la science. Les recherches en médecine, en sciences humaines et sociales, et leur appropriation par les acteurs, la construction de systèmes d’information pour produire des données fiables sont donc essentielles pour faire progresser les pratiques et les organisations.
Les actions de repérage doivent permettre d’éviter les retards de prise en charge et leurs conséquences sur la vie de la personne et de son entourage. Les enfants et les adolescents sont tout particulièrement concernés : il s’agit de renforcer, en collaboration avec la pédopsychiatrie, les actions de repérage et de prise en charge des enfants et adolescents évoluant dans des environnements à haut risque, en complément des actions éducative, sociale ou judiciaire, et pour mieux tenir compte des capacités évolutives des enfants. La bonne information sur les troubles psychiques et les dispositifs d’accueil adaptés permettra un meilleur repérage et une prise en charge plus précoce. Le partenariat avec les aidants, dans la durée, permet également de repérer plus tôt une dégradation de l’état de santé d’une personne malade.
Par ailleurs, la réponse à la détresse psychologique, à la demande de soins programmés (ou programmables) doit elle-même être organisée. Il s’agit de privilégier la rapidité du contact avec un professionnel pour une première évaluation et un passage de relais, le cas échéant, pour un avis médical spécialisé. Les délais d’attente pour un premier rendez-vous avec un professionnel de la psychiatrie seront particulièrement suivis.
C’est l’anticipation dans les situations critiques qui permettra la prise en charge la plus adaptée.
Sans vouloir exactement coller à ces préoccupations d’ordre de santé publique et de psychiatrie, plusieurs remarques sont intéressantes ici et concernent la psychanalyse et particulièrement la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent dans un tel contexte. La psychanalyse n’ignore pas le monde dans lequel elle se situe. Remarquons qu’après la dernière guerre mondiale et sous l’influence des alliés, la pédopsychiatrie est devenue ambulatoire en Europe et donc en France. Il a été créé vers 1949 trois centres psychopédagogiques (Claude Bernard, Edouard Claparède et Strasbourg) qui sont devenus les modèles sur lesquels seront conçus en 1963 par décret les C.M.P.P. (Centre-Médico-Psycho-Pédagogiques) assurant la prévention et les soins des enfants scolarisés sur un mode ambulatoire et garantissant une approche diagnostique et de soins psychanalytique des troubles de l’enfant. Nous allons tenter d’expliciter les raisons de ces choix partout en Europe dans l’immédiate après guerre.
Lors de la consultation, il appartient au médecin consultant de repérer les capacités plus ou moins entravées de l’enfant à partir des troubles qui lui sont décrits par les parents de l’enfant, l’école et l’enfant lui-même. La question de l’accession aux moyens de symbolisation devient évidemment centrale de même que les capacités chez l’enfant pour s’organiser avec ses angoisses et ses difficultés singulières d’adaptation au groupe famille ou au groupe école selon son développement psycho affectif et libidinal. De nombreux moyens d’évaluation sont à la portée du praticien pour poser son diagnostic : bilan psychomoteur, bilan orthophonique et bilan psychologique. Des indications de rééducations instrumentales (développement des moyens cognitifs et psychosomatiques) pourront favorisées la reprise du développement chez l’enfant. C’est ici qu’il convient de préciser les indications de séances de psychanalyse au sens strict (développement des moyens psychiques, intégration, construction, identité).
La présence de l’agitation, de la violence et de la haine, l’importance de l’inhibition, la capacité à tolérer la frustration, les réponses en terme de comportement à la manifestation de l’autorité seront au centre des observations du psychanalyste. C’est à partir de ces éléments qu’il pourra considérer l’organisation psychique de l’enfant. Il recherchera l’existence d’une entrave au développement du fait d’une organisation défensive plus ou moins déjà construite et organisée empêchant l’essor de la curiosité et de l’accès aux moyens de culture ainsi qu’au partage avec d’autres différents de lui ou des siens. La capacité à être seul sans se déstructurer sera aussi un élément constant d’attention de même que la capacité à jouer et à assurer son travail et son intégrité.
L’équilibre de l’humeur et les capacités à gérer les séparations informent sur l’histoire singulière de l’enfant. Son accession à la compréhension mutuelle et sa capacité à s’appuyer sur l’adulte ont aussi une grande importance de même que son niveau de compréhension des dynamiques de groupe : rôle du leader et du bouc émissaire.
Chaque fois que les mouvements primaires : impulsivité, angoisse, violence, insomnie, dépression viennent entraver la capacité à penser et à comprendre il y a une indication d’un travail de psychanalyse. Chaque fois que l’organisation psychique signale une fixation qu’elle soit phobique, hystérique ou obsessionnelle il faut un traitement permettant un travail de transfert qui nécessite impérativement plusieurs séances par semaine avec un psychanalyste jusqu’au desserrement de la contrainte interne défensive. Un exemple banal est celui de l’énurésie qui nécessite un travail de psychanalyse étant donné ce que ce symptôme recouvre du point de vue de l’inconscient, du rapport du sujet avec l’agressivité confondue avec l’agression et de ce qu’il annonce comme futur déséquilibre lors de la puberté et de l’adolescence en tant que processus pouvant être entravé gravement à l’origine des psychoses de l’adulte.
La cure psychanalytique est indispensable non seulement au développement des bons moyens cognitifs et à l’affirmation de soi réussi mais il l’est aussi on l’aura compris pour l’abord futur du mouvement adolescent qui va suivre dans le développent libidinal et de subjectivation, mettant au premier plan les enjeux pulsionnels de cet âge. En ce sens on peut affirmer que ce travail psychique lors de la période de latence est une prévention des troubles mentaux de l’âge adulte tels qu’ils préoccupent l’OMS.
Il faut distinguer à mon sens d’une part le travail de psychanalyse assurant une bonne organisation d’un sujet en péril du fait de son auto organisation en déséquilibre qui s’appuyant sur la situation de psychanalyse et son moyen : le transfert parvient à une amélioration des moyens d’expression et d’existence et d’autre part le travail des psychanalystes auprès des sujets présentant des troubles mentaux handicapants pour lesquels les psychanalystes sont de plus en plus sollicités du fait de la loi sur le handicap assurant aux handicapés les moyens de chaque citoyen dans la cité. Il y a là un nouveau champ de travail et de recherche passionnant.
Enfin citons tout le travail en psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent réalisé par la psychanalyse appliquée au champ de la famille et qui est souvent indispensable pour permettre la correction des défauts d’adaptation du groupe famille à la souffrance mentale de l’un des membres du groupe.
On ne peut pas ignorer aujourd’hui finalement le retard pris au diagnostic des troubles chez l’enfant tel qu’il est constaté à notre époque et ceci malgré les moyens et le savoir acquis. L’entrée en CP est trop souvent l’occasion de la déconvenue et de la découverte des troubles alors que chaque enfant est censé être suivi en P.M.I. Il s’agit là d’insister sur l’insuffisance de formation des médecins eux-mêmes, pédiatres compris, à la vie psychique de l’enfant et ses entraves possibles.
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